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d’une véritable renaissance. Mais que sont ces pas en avant auprès de ceux qui se succéderaient, si nous étions assez heureux pour rapporter une photographie d’éclipsé obtenue à bord d’un aérostat en cours de route ?

Morin avait été un des premiers à se faire inscrire, et faisait par conséquent partie de l’équipage de l’Aéro-Club qui devait réaliser ce haut fait d’astronomie aéronautique.

Pour guider cet aérostat, on avait désigné un des pilotes officiels du Club, un des plus habiles collègues des comtes de la Vaulx et de Saint-Victor, qui se sont acquis, en si peu de temps, une réputation universelle par tant d’expéditions mémorables. De mon côté, je me mis à étudier de plus près les appareils que je voulais emporter. On exécuta sous mes yeux une épreuve du soleil avec la chambre noire qui m’était destinée. Je constatai à mon amer désappointement que le diamètre du disque solaire n’avait pas beaucoup plus d’un millimètre sur le plus grand cliché que l’on pût obtenir d’un fort joli paysage céleste. Comment soumettre un cercle d’un rayon si minime à un grossissement suffisant pour faire apparaître sur sa circonférence une toute petite échancrure que l’œil le plus exercé confondrait avec une bavure, une granulation quelconque ? Désespéré, je déclarai que je renonçais à l’expérience et que l’ascension projetée n’aurait pas lieu. Pourquoi ai-je eu tant de scrupules ? Pourquoi me suis-je tant occupé du succès immédiat ? Est-ce que je ne sais pas, par expérience, que ce ne sont jamais les aéronautes qui ont le droit de s’écrier comme César : veni, vidi, vici... C’est de nous que l’on peut dire que notre faible génie est une longue patience. Les circonstances atmosphériques sont si variées, si instables ; les forces qui dominent dans l’océan invisible sont si prodigieuses que, comme Pierre le Grand dans sa lutte contre Charles XII, nous ne pouvons arracher la victoire qu’à force de défaites successives.

Certes, les périls de l’air sont grands, et les plus habiles pilotes, comme le capitaine von Siegsfeld, un des inventeurs du ballon cerf-volant, peuvent être surpris par la tempête dans des circonstances où la mort est inévitable. Moi-même, j’ai éprouvé, plus d’une fois, des accidens dans lesquels il semblait que j’allais périr. Mais ces épisodes n’ont point refroidi mon zèle. L’âge a ajouté un sac de lest au poids de mon corps sans diminuer l’ardeur de mon âme, et ma devise est toujours : Excelsior !