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vous seriez insulté par les boxeurs. N’hésitez pas à passer en Amérique. De là, vous ferez encore trembler vos ennemis. S’il faut que la France retombe sous le joug des Bourbons, votre présence dans un pays libre soutiendra l’opinion nationale. »

L’Empereur avait donné les ordres de départ pour midi. Il y eut des indiscrétions de la livrée. Dès onze heures, la foule se massa dans la rue du faubourg Saint-Honoré, criant à pleine gorge : « Vive l’Empereur ! Vive l’Empereur ! Ne nous abandonnez pas ! « Trop ému pour affronter ces acclamations, et appréhendant peut-être qu’une chère violence ne le retînt dans le palais au mépris de sa promesse à Carnot, Napoléon fit sortir les carrosses avec ses aides de camp et l’escorte par la grande porte de l’Elysée ; lui-même gagna à pied la petite porte du jardin où stationnait la voiture de ville de Bertrand ; il y monta avec celui-ci et ne reprit son carrosse que passé la barrière de Chaillot.

La nouvelle fut apportée à Fouché comme il présidait la Commission de gouvernement. Il resta encore en défiance. La Malmaison n’était pas, après tout, si éloignée de Paris, et l’on pouvait craindre quelque démarche de généraux, de groupes d’officiers, susceptible d’entraîner l’Empereur. Pour plus de sûreté, Fouché fit, séance tenante, décider par la Commission que le général Becker, député du Puy-de-Dôme, recevrait le commandement de la garde de Napoléon à la Malmaison. Becker était en disgrâce depuis 1810 pour la liberté de ses opinions : c’est pourquoi Fouché l’avait désigné ; mais ce brave soldat, peu empressé de remplir ce rôle équivoque, accourut aussitôt chez Davout, le priant avec insistance d’en charger un autre officier général. Le ministre réitéra l’ordre au nom de la Commission exécutive. Becker dut partir dans la soirée pour la Malmaison. Ses instructions portaient : « L’honneur de la France commande de veiller à la conservation de l’empereur Napoléon. L’intérêt de la patrie exige qu’on empêche les malveillans de se servir de son nom pour exciter des troubles. » Il n’était pas besoin de lire beaucoup entre les lignes pour comprendre que Fouché entendait qu’à la Malmaison Napoléon fût prisonnier. Et, dans la pensée secrète du duc d’Otrante, ce prisonnier était aussi un otage.


HENRY HOUSSAYE