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« Remarquez, conclut-il, que si ma présence ici peut être utile au roi, elle le serait encore plus à vous-même. La confiance du roi s’en augmenterait, et je pourrais faire valoir auprès de Sa Majesté la franchise de vos intentions. »

En offrant sa protection, Vitrolles imposait sa surveillance. Fouché le comprit, mais il n’était pas de nature à se priver d’un protecteur, ni à s’inquiéter beaucoup d’un surveillant. Il approuva l’idée du royaliste. « Je vous ferai délivrer cinquante passeports, dit-il ; vous en ferez l’usage qu’il vous plaira. Ce n’est pas une fois par jour que vous pourrez me voir, c’est deux et trois fois, en tout temps, en tout lieu. Quant à votre tête, elle sera aux mêmes crochets que la mienne qui est passablement menacée. Si je sauve l’une, je vous garantis l’autre. » Ces deux hommes, doués tous deux, bien qu’à des degrés différens, du génie de l’intrigue et ayant tous deux le goût de conspirer, étaient faits pour s’entendre. Ils se quittèrent bons compères.

Fouché, qui peu après cette entrevue avec Vitrolles s’était fait élever à la présidence du gouvernement provisoire, était content de sa matinée. Mais divers rapports lui donnaient de graves inquiétudes pour la journée. Napoléon était fort irrité de la façon dont la Chambre et surtout la Chambre des pairs avaient éludé la proclamation de son fils. Sans doute l’Empereur n’avait ajouté cette clause à l’acte d’abdication que sur les instances de Lucien et de quelques ministres, et il n’espérait guère qu’elle fût respectée par la coalition, mais puisque nolens volens il s’y était déterminé, il regardait comme une offense la conduite du Parlement. En termes très vifs, il reprocha à Regnaud de n’avoir pas su défendre les droits de son fils. Regnaud était sincèrement affligé de la tournure que prenaient les choses, car il n’avait poussé à l’abdication que dans le ferme espoir de la régence. Il protesta de son dévouement et s’offrit à rouvrir la discussion devant la Chambre. Boulay et Ginoux-Defermon s’engagèrent de même à prendre la parole pour faire reconnaître l’indivisibilité de l’abdication. Fouché craignait qu’ils n’y réussissent ; et s’ils échouaient, restait le danger que, sous l’impulsion de la colère, l’Empereur ne déclarât nulle son abdication et ne tentât de reprendre le pouvoir. Il aurait pour lui une importante minorité dans la Chambre, les troupes de la garnison, et toute la population turbulente de Paris. Par les rapports de police, Fouché connaissait les manifestations patriotiques de l’avant-veille