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grands palais du Maharajah, qui, d’un côté, dominent toute la ville et, de l’autre, mirent leurs blancheurs dans un lac frais et profond, entouré de montagnes et de forêts.


Une circonstance particulière m’a fait ici, dès le premier instant, l’ami de deux jeunes brahmines, qui sont frères et tous deux prêtres au grand temple. Chaque jour, aux heures silencieuses et brûlantes où je ne sors pas, je reçois leur visite discrète, dans la petite « maison du voyageur » qui est en dehors des murs, au milieu d’une solitude de poussière. Ils sont vêtus d’une robe blanche et coiffés d’un mince turban. Ils ont le même visage, d’une finesse exquise, les deux frères, et les mêmes grands yeux mystiques. Leur noblesse de race, sans croisemens ni mésalliances, remonte à deux ou trois mille ans : fils et arrière-petits-fils de rêveurs qui, depuis les origines, se sont tenus en dehors et au-dessus de notre humanité vile ; qui jamais ne se sont adonnés à l’intempérance, au commerce ni à la guerre ; qui n’ont jamais tué, même une humble bête ; qui n’ont jamais mangé d’aucune chose ayant vécu. Ils sont pétris d’un limon différent du nôtre et plus pur ; ils sont presque un peu dématérialisés avant la mort, et possèdent des sens moins lourds, capables de percevoir des choses au delà de cette vie transitoire.

Cependant mon espérance était chimérique, d’obtenir par eux quelque lumière ; leur brahmisme s’est obscurci, de génération en génération, par l’abus des rites et des observances ; ils ne connaissent plus le sens caché des symboles.

— « Le roi Chri-Jugat-Singhie, fils de Chri-Karan-Singhie, grand adorateur du dieu que nous servons, commença la construction de notre temple en 1684, lors de son avènement au trône. Ce prince bâtit deux autres temples sur le lac, et ces trois bâtisses durèrent ensemble vingt-quatre ans. Pour l’inauguration, quand l’image de notre dieu fut placée dans le sanctuaire, en 1708, plusieurs princes des environs arrivèrent en cortège, avec beaucoup de magnificence, amenant une grande quantité d’éléphans… »

C’est l’un des deux frères qui raconte, dans le silence de midi et dans la pénombre de la « maison du voyageur, » fermée contre le soleil, contre les mouches, et contre le vent desséchant, le vent de famine. Ils sont très érudits sur les temples