Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/366

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

espérances, c’est là qu’est le danger. » À ces paroles prophétiques, Napoléon ajouta qu’il recommandait son fils à la France et qu’il espérait qu’elle n’oublierait point qu’il n’avait abdiqué que pour lui. « Sire, répondit froidement Lanjuinais, la Chambre n’a délibéré que sur le fait précis de l’abdication. Je me ferai un devoir de lui rendre compte du vœu de Votre Majesté. »

De retour à l’Assemblée, Lanjuinais rapporta avec une inexactitude absolue la réponse de Napoléon[1]. Il se fit néanmoins scrupule de ne pas dire que l’Empereur avait rappelé qu’il n’avait abdiqué qu’en faveur de Napoléon II. Durbach prit texte de ces derniers mots pour faire remarquer que, si la Chambre avait reconnu l’abdication de Napoléon, la loi d’hérédité n’en subsistait pas moins. « Le fils de Napoléon est mineur, continua-t-il ; ainsi c’est au conseil de régence... » De tous côtés, on interrompit avec une sorte de fureur cet imprudent qui allumait un brandon dans une poudrière. Unanime le matin à exiger l’abdication de l’Empereur, la Chambre était maintenant divisée, indécise, désemparée. Mais adversaires et partisans de la régence s’entendaient d’instinct pour en éluder temporairement la discussion, les uns et les autres craignant, de cette assemblée en effervescence, un vote par entraînement.

Le tumulte calmé, on procéda à l’élection des trois membres de la Commission exécutive. Il y avait, à la Chambre, des partisans de Napoléon II, de Louis XVIII, du duc d’Orléans, de la République ; mais aucun député n’était ardemment bonapartiste, bourbonniste, orléaniste ou républicain, et tous étaient éperdument libéraux. Il semblait donc que La Fayette, Lanjuinais, Flaugergues, chefs du parti libéral, dussent réunir la majorité des votes pour la Commission de gouvernement. C’était compter sans Fouché. Le duc d’Otrante voulait être élu par les députés, estimant que leurs suffrages lui donneraient plus d’autorité morale et effective que ceux des membres de la Chambre haute. En outre, il ne voulait avoir pour collègues à la Commission de gouvernement ni La Fayette dont il redoutait les élans inconsidérés, ni Lanjuinais dont il craignait la fermeté. Ces deux personnages étaient, en outre, de qualité à lui disputer la présidence de la

  1. Il est tout à fait curieux de comparer avec les paroles de l’Empereur la traduction qu’en donna Lanjuinais (Moniteur du 23 juin) : « S. M. a répondu en témoignant le plus touchant intérêt pour la nation française, le plus vif désir de lui voir assurer sa liberté, son indépendance et son bonheur. »