Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/360

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouvelles qui venaient d’arriver de l’armée. Son rapport, pourtant assez encourageant, ne produisit pas l’effet espéré. On suspecta Davout de donner des renseignemens faux. Un représentant lui demanda effrontément s’il n’était pas vrai que l’ennemi eût déjà des troupes légères aux environs de Laon ? Tour à tour, la censure fut proposée contre le ministre et contre son interrupteur. On suspendit la séance au milieu du tumulte.

Le général Solignac était à l’Elysée. Il avait sans peine consenti à demander que l’on ajournât l’envoi, proposé par lui, d’une députation à l’Empereur pour le sommer officiellement d’abdiquer ; mais il avait pensé au même moment à une démarche officieuse immédiate. Il s’en chargea lui-même avec deux autres membres de la Chambre. (Il fallait vraiment être enragé pour prendre la tâche d’une pareille mission sans y être contraint ! ) Admis en présence de l’Empereur, Solignac et ses collègues lui exposèrent les prétendues raisons d’intérêt national qui devaient l’engager à se sacrifier à la France. Il est présumable qu’ils parlèrent avec respect, et qu’ils s’abstinrent de dire à l’Empereur, qui l’avait déjà appris de Lucien, que les représentans lui accordaient une heure pour se déterminer. Après les avoir écoutés avec calme, Napoléon les congédia en les assurant qu’il allait envoyer un message qui donnerait satisfaction à la Chambre.

Regnaud, qui faisait constamment la navette entre le Corps législatif et l’Elysée, revint peu après dans le cabinet de l’Empereur, où se trouvaient réunis les ministres et les princes Joseph et Lucien. Il rapporta que la communication de Davout avait encore mécontenté la Chambre, que de minute en minute s’accroissaient l’impatience et l’irritation, qu’il avait entendu des propos menaçans. C’était rappeler un peu trop durement au général vaincu, au souverain abandonné, le délai d’une heure qui lui était concédé pour déférer au vœu impératif de l’Assemblée. Napoléon eut une dernière révolte. « — Puisque l’on veut me violenter, s’écria-t-il d’une voix que faisait vibrer l’indignation, je n’abdiquerai point ! La Chambre n’est qu’un composé de Jacobins, de cerveaux brûlés et d’ambitieux. J’aurais dû les dénoncer à la nation et les chasser... Le temps perdu peut se réparer... » Et il se promenait à grands pas dans son cabinet et sur le perron du jardin, se parlant à lui-même, prononçant des mots entrecoupés, inintelligibles.