Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/357

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de résistance ; mais pas un instant, malgré les premiers conseils de Davout et les exhortations constantes de Lucien, il ne pensa sérieusement à dissoudre les Chambres. Et c’est précisément l’infamie de Fouché de lui en avoir attribué le dessein, et la mauvaise action de La Fayette d’avoir donné à cette imposture l’autorité de sa parole,

Caulaincourt, Regnaud, Rovigo, Lavalette vinrent au lever de l’Empereur. Tous lui représentèrent la nécessité d’abdiquer. Il y était déjà résigné. Avec une profonde tristesse, il répéta ses paroles de la veille : « Je ne puis rien seul. On croit se sauver en me perdant, mais on verra combien on s’abuse. » Il interrompit Lavalette qui s’étendait sur les périls d’un nouveau 18 Brumaire : « Cette pensée, dit-il doucement, est bien loin de moi. » Mais, comme il y a les révoltes de la chair devant la souffrance physique, il y a les révoltes de l’âme devant le sacrifice définitif, le renoncement à toute espérance, la tombe anticipée. De là, les dernières hésitations de l’Empereur, à mieux dire ses temporisations. Il avait pris son parti, mais il différait, il attendait. Dans l’illusion persistante d’un retour d’opinion à la Chambre, il craignait d’accomplir trop tôt l’acte irrémédiable.

Les ministres ayant rendu compte de la séance de nuit aux Tuileries, l’Empereur déclara consentir à la nomination par la Chambre d’une commission chargée de traiter directement avec les puissances coalisées. Il ajouta que, s’il était reconnu que sa présence sur le trône empêchât l’ouverture de toute négociation, il serait prêt à se sacrifier. En attendant que cette déclaration fût communiquée officiellement aux Chambres sous forme de message, il autorisa Regnaud à la transmettre officieusement à ceux des députés qui avaient été adjoints au Conseil des ministres. Comme Regnaud allait quitter l’Elysée, l’Empereur reçut des nouvelles de l’armée. Un officier du prince Jérôme, le capitaine de Vatry, venu à franc étrier, rapporta qu’il avait vu plus de 20 000 hommes sur la route d’Avesnes. De son côté, Soult mandait qu’il avait rallié 2 000 soldats de la vieille Garde et de nombreux détachemens de la ligne. Dejean avait rassemblé à Guise 1 700 cavaliers des divisions Roussel, Jacquinot et Pire. Grouchy, enfin, écrivait de Givet qu’il ramenait ses deux corps d’armée, et que ses communications avec le maréchal Soult étaient libres. L’Empereur pressa Davout de courir à la Chambre afin de ranimer par ces réconfortantes nouvelles le courage des