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de la nature, tous ces mots sont les mots vrais, les mots sacrés de la vie. Les effacer, c’est remplacer la réalité par un rêve, et la chimère est du côté de ceux qui nient. » Et, dans ces quelques lignes tirées des Espérances chrétiennes, quelle profondeur, quelle délicatesse et quelle poésie à la fois ! « En vain, la science et la force, unissant leurs mains, rayent le nom de Jésus-Christ dans les lois, l’effacent des livres, le grattent sur le front des monumens. Peine perdue ! Au coin des sentiers fleuris, au fond des mansardes, sur les tombes silencieuses, deux bâtons mis en croix parlent toujours de lui ! »

On a souvent comparé son éloquence à celle de Thiers. On rappelait « le Thiers catholique. » Il avait de lui la clarté, la belle ordonnance ; mais il possédait en plus l’élévation, l’originalité ; une voix, un geste qui, à eux seuls, commençaient de persuader. Par un rare privilège, son éloquence s’adaptait comme spontanément aux auditoires les plus variés : ouvriers, jeunes gens, lettrés, mondains ; et elle abordait avec le même bonheur les sujets les plus différens. Il s’en fallait pourtant qu’il ne fût qu’un artiste habile à prendre des rôles successifs. L’art, chez lui (si c’en est un), consistait « à donner de l’intérêt aux questions les plus arides, par la hauteur des principes auxquels il les rattachait et à faciliter l’accès des plus hautes par la grâce familière de l’expression. Sachant ainsi élever tour à tour et baisser sa pensée comme sa voix, sans en changer le ton, il comblait sans effort la distance qui sépare les ordres d’idées les plus différens. Puis, sous la diversité extérieure, on sentait persister le même fond, une conscience toujours inquiète de la vérité, un désir toujours ardent de tout bien faire[1]. » J’étais auprès de lui à l’Assemblée de Matines, en 1863, quand il prononça le grand discours où il s’attache à démontrer que « toutes les sciences prouvent Dieu, que tous les progrès servent Dieu. » J’ai pu suivre les mouvemens divers provoqués par sa parole chez les trois mille hommes qui l’écoutaient. J’ai pu constater à quel point il savait associer l’auditoire au travail de sa pensée, le remuer par la force communicative de sa conviction, le surprendre et le charmer par les horizons nouveaux qu’il ouvrait devant lui, par les saillies de son esprit ; j’ai senti cette foule s’échauffer de plus en plus pour éclater

  1. Duc de Broglie, Préface aux Études économiques et sociales d’Augustin Cochin, 1880. Librairie Perrin.