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en haut la pensée, Cochin excelle à s’emparer de l’attention des lecteurs, comme de celle des auditeurs, soit qu’il traite des poésies de Longfellow ou de la condition de l’ouvrier français, soit qu’il étudie les institutions de prévoyance, ou la réforme sociale, soit encore qu’il décrive les spectacles qui s’offraient à ses yeux, au cours de ses voyages.

Il possédait à un haut degré le sentiment de la nature. Sa correspondance abonde en descriptions, dont la couleur, le pittoresque, l’inattendu, sont d’un charme achevé. Quel tableau, par exemple, que celui qu’il trace, en traversant, en 1863, l’Italie centrale, de ces plages de Porto d’Anzio « où la nature, l’histoire, la vie présente s’unissent, à ses yeux, pour composer un spectacle unique : la nature fournissant les couleurs, l’azur du ciel, les rayons du soleil, l’aspect changeant de la mer, la sombre ceinture des falaises entremêlées de riantes villas ; l’histoire ressuscitant, les plus anciens souvenirs de la Rome païenne, les Volsques, Antium, Néron, sa naissance, les ruines de son palais avancé dans la mer, l’Apollon découvert dans ces ruines, le triomphe de l’Eglise sur l’Empire ; et, sur cette scène, décorée de tant de splendeurs naturelles, agrandie par tant de réminiscences historiques, au déclin du jour, des groupes animés, remuans, pleins de joie : ici, des enfans ; là, des pêcheurs avec leurs filets ; à l’horizon, les zouaves pontificaux faisant retentir les clairons, pendant que leur drapeau flotte sur les tentes de leur camp ; au centre enfin de tous les regards, le Pape, revêtu de sa soutane blanche avec son chapeau rouge à franges d’or, marchant gaiement au bord des flots, suivi et entouré de la foule, comme l’était autrefois son maître sur la rive lointaine des lacs de Judée ! »

Cochin avait un culte pour la poésie ; aussi lui arrivait-il de sentir et d’écrire en poète. On en peut juger en lisant ses pages sur Longfellow, ce poète tendre et viril, dont la sensibilité mêlée de force révèle une inspiration si chrétienne : « La poésie, écrivait-il[1], ne nous charme que parce qu’elle rend plus aimable ce qui peut être aimé, plus admirable ce qui doit être admiré, plus sensible ce qui doit être senti. C’est la prose vulgaire qui a tort. L’enthousiasme a raison : Dieu, amour, gaieté, courage, lutte, ardeur, larmes, fidélité, merveilles de l’âme, splendeurs

  1. Conférences et Lectures, 1817. Librairie Perrin.