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campagnes, à l’apprentissage, au travail des femmes et des enfans dans les manufactures.

Quant à la sœur Rosalie, cette humble fille de saint Vincent de Paul, qui a passé cinquante ans dans l’obscure maison dont elle était supérieure, rue de l’Epée-de-Bois, près de la rue Mouffetard, toute son ambition était de se montrer la servante de Jésus-Christ et des pauvres ; elle a été vraiment l’incarnation vivante de la charité dans Paris au XIXe siècle. Une sorte de célébrité l’a poursuivie malgré elle. Sa petite salle d’audience était assiégée à toute heure, non seulement par des misérables, mais par les heureux ou les soi-disant heureux du siècle. Quelques-uns, sans doute, y étaient amenés par la curiosité, et d’autres par le désir de rendre hommage à la sainteté du dévouement ; mais presque tous y venaient chercher un appui, un conseil, un réconfort. Remarquée et visitée par les souverains eux-mêmes, par les hommes les plus illustres de ce temps, elle était adorée de la multitude, au point qu’elle garda toute son autorité dans les heures les plus sanglantes de la Révolution de 1848, Dieu sait le nombre de pauvres qu’elle a vêtus, consolés, nourris ! Il les faut compter par milliers. Dieu sait que de courages elle a relevés, que de généreuses actions et de dons magnifiques elle a suscités ; que de blessures, si je l’ose dire, elle a fermées, en y apposant la douce main du Christ !

Ce sont ses leçons qui ont instruit Cochin. C’est d’elle qu’il a appris combien le secours matériel est insuffisant, corrompt même et dégrade, s’il est donné mal à propos ou séparé de l’action moralisante ; combien toute réforme de l’âme profite au corps ; combien l’extinction de la misère dépend de l’extinction du vice, « Enlevez à un homme un vice, disait-elle souvent, vous écartez de lui une cause de ruine ; à mesure que vous lui donnez une vertu, vous lui ôtez une chance de misère, » Elle lui enseigna encore dans quel large esprit la charité doit être pratiquée, sans demander aux institutions de bienfaisance leur extrait de baptême ; sans considérer la couleur du drapeau politique de leur fondateur ; sans hésiter jamais à s’associer, pour faire le bien, avec des hommes dont on reste séparé sur beaucoup de points, avec l’unique souci de faire sortir de chaque bonne volonté tout ce qui est en elle. Sœur Rosalie encore lui enseigna comment l’on parle aux malheureux le langage qu’ils ont besoin d’entendre et, par-dessus tout, combien est profitable.