par sa brutale audace, étonne, inquiète et assombrit plus que toutes les épouvantes amoncelées au dehors : sur la pierre fruste de l’autel, un petit caillou noir, d’un luisant de marbre poli, ayant forme d’œuf allongé et se tenant debout, avec, de chaque côté, gravés sur le socle, ces mêmes signes mystérieux que les sectateurs de Çiva ne manquent jamais de retracer sur leur front, le matin, avec de la cendre. Tout est noirci de fumée alentour ; les niches, dans le mur, pour recevoir de pieuses flammes, sont enduites d’une suie épaisse, et graissées d’huile, pleines des débris de mèche que l’on n’ose plus enlever. Tout est sordide, témoignant d’un culte obstiné, mais d’un culte peureux et sauvage.
Or, ce caillou noir, centre de tout, raison d’être, cause première d’un si prodigieux travail de déblaiement et de sculpture, est le plus condensé et le plus douloureusement significatif des symboles qu’imaginèrent jadis les Indiens pour figurer le dieu qui féconde sans cesse, pour sans cesse détruire ; il est le Lingam ; il représente la procréation, qui ne sert qu’à alimenter la mort.
L’étendue qui joue la mer commence de s’éclairer faiblement quand je sors ce matin de la « maison du voyageur, » où j’ai dormi à mon retour des grottes épouvantables. Sous un voile de poussière, en suspens comme une brume, l’étendue est bleuâtre, avant jour, bleuâtre et imprécise comme de l’eau dans du brouillard. Mais le soleil, qui surgit brusquement, la révèle une plaine rousse, altérée sous une atmosphère sèche, avec, çà et là, des arbres morts.
Je vais revoir, à la lumière violente, les temples de Çiva, vérifier si c’est bien réel, tout ce dont je me souviens, et cette fois je descends seul, connaissant la route, entre les roches brunes et les hauts cactus desséchés, rigides comme des cierges de vieille cire jaune.
A peine levé, déjà ce soleil sanglant cause une impression de brûlure aux tempes ; c’est un soleil méchant et destructeur, qui chaque jour répand un peu plus de mort sur la terre de l’Inde... Trois hommes à bâtons, espèces de pâtres sans troupeau, remontent de la plaine, passent près de moi avec de profonds saints ; ils sont d’une maigreur jamais vue, les yeux fébriles et trop grands ; sans doute viennent-ils du pays de la faim, au seuil duquel me voici arrivé. Les mille petites plantes, qui jadis par