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n’avait que trois ans, et il perdit son père en 1841, au moment où il se réjouissait de pouvoir le soulager dans ses travaux. Il restait, à vingt ans, abandonné à sa propre et unique responsabilité. Avec un sang-froid et une énergie extraordinaires, il sut organiser sa vie et, — chose rare dans un si jeune homme, — l’orienter d’une manière définitive. Une maturité précoce lui permettait de se gouverner lui-même et de tenir déjà ses yeux fixés sur le but auquel devaient tendre ses efforts.

Dans l’isolement où il se trouvait, son oncle, M. Benoist d’Azy, lui fut d’un grand secours. Mais sa consolation véritable, sa ressource suprême, ce fut l’action. Il a été par excellence l’homme d’action. Croyant, enthousiaste, confiant, épris de l’idéal le plus élevé, et, malgré ses tristesses prématurées, envisageant la vie dans ce qu’elle a de beau, dans les grandes choses qu’elle permet d’accomplir pour Dieu, pour son pays, pour ses semblables, ayant une haute idée du métier d’homme et, plus encore, du rôle du chrétien, il se lança dans l’action à corps perdu, justifiant dans toute sa conduite ce qu’il devait dire plus tard et qui caractérise si bien cet esprit ouvert, cette âme épanouie : « J’aime la vie, la gaîté, la science, la liberté. » Un champ indéfini s’ouvrait devant son ardente activité, car il était né avec deux passions au cœur : l’amour de l’homme qui travaille et l’amour de l’homme qui souffre.


II

La connaissance des problèmes qui se rattachent à la condition des ouvriers dans la société contemporaine a été le constant objet et comme le point central des études de Cochin. Il ne s’est pas borné à les approfondir dans des ouvrages spéciaux, dans les écrits de Le Play, notamment, dont il était le disciple ; mêlé de près à la direction de grandes industries, il a vécu au milieu des ouvriers, et, quand il lui est arrivé de parler d’eux, il l’a fait en homme du métier, avec l’expérience du professionnel. Cochin n’avait pas seulement l’amour, il avait le respect du travailleur. Il s’inclinait devant la noblesse du travail et s’étonnait que l’on ne considérât pas comme un devoir pressant de s’occuper de ceux qui, à peu d’exceptions près, constituent la grande famille humaine. Ne sortons-nous pas tous, en effet, de souches de travailleurs ? « Une loi mystérieuse ne conduit-elle et ne reconduit-elle