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nous gêne. Et toujours, autour de nous, l’horreur cent fois répétée des Çiva gesticulant, des Çiva crispés, des Çiva qui cambrent leur taille fine et gonflent leur poitrine charnue, dans l’ivresse des procréations ou des tueries.

Au milieu de si épaisses ténèbres, en entrant là, je ne me soucie guère de n’avoir songé à prendre ni une arme, ni seulement un bâton, tant la possibilité d’une surprise de la part des hommes ou des bêtes est loin de ma pensée ; et cependant la peur du chevrier me gagne, la peur sombre, la peur de ce qui n’a pas de nom et ne s’exprime pas.

J’attendais, dans ce sanctuaire, le summum de la terreur épandue alentour, le dernier excès des symboles atroces. Mais non, tout est apaisant et simple ; c’est comme, après les affres de la mort, le grand calme soudain qui doit vous accueillir au delà ; aucune représentation humaine ou animale nulle part ; il n’y a plus une figure, plus une étreinte, plus un geste, plus rien ; des temples vides, d’une solennité reposante et grave. Seules, les résonances funèbres s’exagèrent plus encore qu’à l’extérieur, si l’on parle ou si l’on marche ; à part cela, vraiment il n’y a quoi que ce soit pour effrayer, pas même, en l’air, un remuement d’ailes noires. Et les colonnes carrées, qui sont d’un même morceau avec les dessous et avec la voûte, ont une décoration sobre et sévère, formée surtout de lignes s’entre-croisant.

Visiblement, du reste, malgré les ruines et la vétusté millénaire, le lieu demeure toujours sacré ; dès l’entrée, il s’impose comme tel, et la crainte qu’il inspire est surtout religieuse. Pour que les murs soient ainsi enfumés, par la flamme des torches ou des lampes, il faut que l’on y vienne encore en foule, et pour que le granit du sol soit ainsi luisant et comme imprégné d’huile. Le dieu de la mort n’a pas délaissé la montagne que les peuples d’un autre âge avaient creusée pour lui ; le vieux sanctuaire a encore une âme.

Il y a trois salles, trois temples, qui se succèdent et se commandent, taillés dans cette seule et même pierre. Et le dernier des trois est le Saint des Saints, la partie habituellement très défendue, que, dans aucun autre temple brahmanique, je n’avais jamais pu pénétrer.

Là encore, j’attendais je ne sais quoi de terrible à voir. Et, là encore, il n’y a presque rien.

Mais la seule chose qu’il y ait, par sa simplicité quintessenciée,