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nuages, les lointains de la plaine, les armées, les batailles. Toute la façade qui regarde l’abîme, — et qui n’a pas moins de cent pieds de haut sur trois cents pieds de long, — toutes les salles, toutes les chambres, solides comme des casemates, ne respirent que par ces plaques ajourées, qui ne pouvaient s’ouvrir ni pour la fuite, ni pour le suicide, ni pour l’amour ; qui sont oppressantes plus que les barreaux de fer de nos prisons. Et partout, sous les dalles, des escaliers sournois descendent dans des caves, des souterrains, des oubliettes ; on ne sait jusqu’à quelle profondeur la montagne est creusée de puits perdus et de galeries noires.

D’autres palais, à côté de celui-là, se succèdent, de plus en plus barbares. L’un, construit en blocs plus lourds encore, et qui date des rois Pals. Un autre qui est du temps des Jaïnas, presque informe aujourd’hui et confondu avec le rocher, n’ayant que de toutes petites fenêtres percées en triangle, comme des meurtrières.

Ailleurs, ce grand plateau fortifié est couvert de temples dont la diversité seule raconterait toutes les phases du brahmanisme ; il est percé de citernes, en cas de siège, assez grandes pour approvisionner indéfiniment des milliers d’hommes ; il est tout planté de statues et de tombeaux.

Dans un temple Jaïna. dont les dieux furent mutilés jadis par les soldats du Grand-Mogol, je m’arrête à songer, à comparer avec les monumens religieux de notre antiquité chrétienne... nos églises, même les plus belles, sont faites de petites pierres inégales, collées au ciment. Ici au contraire, les blocs énormes, choisis et tous réguliers, ajustés, emboîtés les uns dans les autres avec une précision d’horlogerie, tiennent d’eux-mêmes par leur exactitude et par leur masse, forment un ensemble presque éternel...


Maintenant j’ai repris place, avec mes Indiens, sur le dos de la bête lente et berceuse, et, au son des mêmes cloches argentines, avec la même tranquillité, nous redescendons par l’autre versant de la montagne, dans un gouffre de rochers rouges qui bientôt jettent sur nos têtes un peu d’ombre. Nous croisons des cavaliers qui montaient, mais dont les chevaux se cabrent et s’affolent, et un dromadaire qui fait brusque volte-face, en laissant tomber sa charge : même en ce pays de l’éléphant, il est