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d’un coloris éclatant, drapées à la romaine dans des mousselines claires !

Comme on est loin, ici, de l’Inde des grandes palmes, des nudités de bronze et des longues chevelures épandues !

Ces mousselines du Radjpoutan, où l’on s’enveloppe de la tête aux pieds, ont des dessins savamment barbares ; les couleurs y sont toujours jetées comme des taches, comme des cernes sans contours. Telle femme a choisi pour son voile du vert mousse semé de larges cernes roses ; une autre, qui chemine en sa compagnie, est en jaune d’or taché de bleu lapis et de bleu turquoise, ou bien en lilas avec des marbrures jaune orange. La légèreté des tissus, les rayons de soleil qui traversent, la transparence des ombres, font jouer tout cela comme les feux du prisme. Et, parfois, au milieu de ces nuances de fleurs et de matin, passe une autre belle vêtue comme une fée de la nuit, apportant la surprise de voiles tout noirs, zébrés de longues raies d’argent.

L’amusement des couleurs prend une telle importance pour les gens de Gwalior, qu’il y a des rues entières où l’on ne s’occupe qu’à teindre les mousselines, à y semer des taches harmonieuses. Cela se fait en présence des passans, qui s’arrêtent pour regarder, pour exprimer leur avis. Et, quand une pièce est achevée, on l’étend sur les balcons ajourés, ou bien on la confie à deux enfans qui, la prenant chacun par un bout, s’en vont la promener au soleil pour qu’elle sèche. Le quartier des teinturiers a l’air en perpétuelle fête, avec toutes ces étoffes légères, jetées en vélum sur les maisons, ou promenées à la main, flottant comme des banderoles.

On rencontre par la ville des cortèges de noce, qui s’avancent d’une allure lente, précédés par des tambourins et des musettes, le marié à cheval, et à labri d’un immense parasol que des serviteurs balancent au-dessus de sa tête. On rencontre des cortèges de mort, qui courent à toutes jambes, le cadavre ligoté empaqueté d’étoffes, secoué par le trot des gens qui le portent à l’épaule, et suivi d’une horde essoufflée qui hurle comme les chiens à la lune. Aux coins des rues, des fakirs, barbouillés de cendres, se tordent épileptiquement dans la poussière, et prient comme s’ils agonisaient. Sur la grande place du marché, entourée de temples et de kiosques en fines découpures, les femmes, aux voiles de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, assaillent les