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Çiva qui danse et hurle de triomphe sur des débris pantelans, des bras arrachés, des entrailles déchirées ; Çiva qui se pâme de joie et de rire en piétinant des petites filles mortes, et fait jaillir, à coups de talon, les cervelles. C’est par en dessous toujours que la lueur de notre lanterne joue sur ces épouvantes, et elles émergent une à une de l’ombre, pour aussitôt s’y replonger et disparaître. Les groupes, par endroits, sont devenus frustes, indistincts sous l’usure des siècles ; à peine dessinés, ils s’estompent et fuient dans l’immense noir ambiant, confondus avec les roches qui en prolongent obscurément la tourmente ; on ne voit pas, on ne sait pas où cela s’arrête, et alors on s’imagine la montagne entière, jusqu’en son cœur même, toute remplie de vagues formes affreuses, tout imprégnée de luxure et de râle.

Ces éléphans cariatides, alignés pour soutenir les édifices du centre, détonnaient dans ce lieu par leur tranquillité ; mais sur l’autre face des temples, dont nous faisons le tour, nous trouvons leurs pareils, leurs symétriques, entrés eux aussi dans le mouvement général de lutte et de torture ; des tigres, des bêtes de rêve les étreignent, ou les mordent au ventre ; ils se débattent à mort, déjà écrasés à demi par les murailles qui pèsent sur leur croupe. Et, de ce côté, la grande paroi enveloppante, la masse géologique des granits d’alentour, penche encore davantage ; la profusion des figures ne commence à s’y ébaucher qu’à dix ou vingt pieds de haut ; toute la base, — qui fait ventre, ainsi que l’on dit en parlant d’une ruine prête à crouler, d’une ruine qui surplombe comme une voûte, — est lisse, avec des boursouflures aux aspects mous ; on croirait les flancs d’une volute d’eau noire, on croirait une monstrueuse l’âme de mascaret, soulevant des édifices dont la retombée va être immédiate et ensevelissante...

Ces temples monolithes, que des compagnies d’éléphans surélèvent et que des pans de montagne taillée dominent de toutes parts, nous en avons maintenant achevé le tour. Il nous reste à y pénétrer, et là mon guide hésite encore, propose d’attendre à demain, d’attendre le soleil levé.

Les escaliers qui y conduisent sont en désarroi ; toutes les marches en sont brisées, dangereusement glissantes à force d’avoir été polies, dans les temps, par le continuel passage des pieds nus.

D’instinct, sans savoir pourquoi, nous montons avec des précautions de silence ; mais la moindre pierre qui vacille, le moindre caillou qui roule, fait un bruit que l’écho répète et qui