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palais qui, la nuit, doit être livré aux singes et aux fantômes.

Et c’est très long, très long. Cela me laisse le temps de voir s’allumer toutes les étoiles.

Combien ce lieu est à la fois dominateur et secret ! Et quels princes du rêve étaient ces souverains, pour avoir imaginé ici des assemblées lunaires !

Au bout d’une demi-heure cependant, les coups de tamtam s’apaisent et s’espacent, les beuglemens aussi de la trompe sacrée ; cela se traîne, cela s’alanguit, — avec par instans des reprises désespérées, mais de plus en plus courtes ; on dirait que cela agonise, — et cela meurt, comme d’épuisement. Le silence enfin revient, et, tout en bas, au fond de la vallée que remplissent les ruines d’Amber, on commence de distinguer la petite voix flûtée et lugubre des chacals.

Il n’y a pas de vraie obscurité, dans les escaliers et les salles du palais, quand je redescends. Tout y est imprégné de blancheurs de lune, de blancheurs bleuâtres ; par les petites fenêtres dentelées, entrent les rayons d’argent, qui dessinent sur les dalles la découpure charmante des ogives, ou bien font revivre les mosaïques éteintes, sur des pans de murailles que l’on croirait ce soir semés de gemmes ou de gouttelettes d’eau. Et dans le jardin saturé de parfums de fleurs, les plus hautes branches des orangers, quand je passe, s’emplissent de mouvement et de bruit, au réveil éperdu des singes.

Devant les premières portes, en bas, où l’air semble tout à coup surchauffé après la quasi-fraîcheur des terrasses, mes guides m’attendent, déjà en selle et la lance au poing. Et nous repartons, en tranquille chevauchée nocturne, pour cette Jeypore que je quitterai définitivement demain matin. Je renonce à connaître la ville de Beckanire, où je comptais aller, à une centaine de lieues plus loin, mais où je sais à présent que l’horreur atteint son comble et que les rues sont pleines de morts. Non, j’en ai assez vu, hélas ! et je rebrousse chemin vers les pays moins désolés où le voisinage de la mer de Bengale entretient encore la vie.


XI. — LA VILLE DE GRÈS AJOURÉ

Au pays de la famine, que je quitte pour regagner les bords du golfe de Bengale, ma dernière étape est dans la ville du roi