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Mon Dieu ! cela coûterait si peu de chose, ce qu’il faudrait à ces petits-là pour ne pas mourir[1] !

Au sortir de ces portes roses, deux lieues de ruines, avant d’arriver au vrai désert de la campagne ; dans des jardins d’arbres morts, une suite interminable de coupoles, de temples, de kiosques en pierre ajourée, où n’habitent plus que des tribus de singes, des corbeaux et des vautours. — Et il en va de même aux environs de toutes les villes de ce pays ; la terre, pleine de sépultures, y est encombrée toujours par le prodigieux déchet des civilisations antérieures.

Plus aucune trace de champs cultivés, il va sans dire, et, dans les villages infestés de mouches, plus personne.

Quand ensuite nous avons atteint la base des montagnes, la région des pierres rougeâtres, on eût dit qu’il y avait des brasiers partout ; même à l’ombre, chaque bouffée du vent sec, chargé de poussière, causait une brûlure au visage. Pour végétation, par ici, plus rien autre que de grands cactus morts, restés debout ; toutes les roches étaient hérissées de leurs bâtons épineux. Et mes deux guides chevauchaient le bouclier au flanc, la lance droite, tels autrefois des soldats de Bahadur ou d’Akbar,

Le soleil de cinq heures du soir éclaboussait nos yeux, lorsque enfin nous avons aperçu devant nous cette brèche étroite qui donne accès dans la vallée close d’Amber ; une porte redoutable ferme l’unique passage, après lequel, tout de suite, l’ancienne capitale nous est apparue.

Par des rampes dallées, où nos chevaux glissaient, nous sommes montés au palais des rois, au palais de grès et de marbre qui trône orgueilleusement sur les rochers, commandant toutes les autres ruines.

D’abord, à l’entrée, à l’un des premiers tournans de la route ascendante, nous rencontrions un temple noir et sinistre, dont le sol est souillé d’éternelles taches de sang, et qui exhale une puanteur de bête morte, de vieille boucherie ; au fond, dans une niche, réside la très horrifique Dourga, toute petite et presque informe, l’air d’un gnome malfaisant blotti sous les plis d’une loque rouge ; et un tamtam aussi large qu’une tour est posé à ses pieds. — Là, depuis des siècles, on n’a cessé d’égorger chaque matin, dès l’aube, un bouc, au bruit du tamtam énorme, pour

  1. La nourriture frugale d’un Indien coûte à peu près trois sous par jour !