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sont encore là, taillant par myriades les petites parcelles colorées, ou bien, accroupis, combinant par terre des feuillages et des pétales. Une chambre vient d’être achevée ; sur ses murs d’un vert mousse, rien que de grands lotus roses, — dont le dessin très archaïque fait songer à ce que nous appelons chez nous l’art nouveau ; au milieu est un lit en cristal, avec des rideaux en satin du même vert que les murs, et des matelas en velours du même rose que les lotus.


Au pied d’un vieux petit temple brahmanique, tout déjeté sous les arbres et prêt à crouler au fond de l’eau, je prends place dans la barque où l’on m’attendait, et les rameurs m’emmènent vers les îles. Il fait grand vent, toujours ce vent qui se lève le soir, qui promène sur tout le pays Radjpoute la poussière et la mort, mais qui devient frais et pur, ici, sur ce lac, et ne soulève autour de nous que de minuscules vagues bleues.

D’abord la plus petite des deux îles, où le palais n’a guère que cent ans. Comme tout cela est muré, séquestré, même au milieu de ces eaux profondes, qui déjà pourtant semblaient assez isolantes ! Des petits jardins, très enclos entre des murs en mosaïque, et envahis aujourd’hui par une végétation de cimetière ; des fouillis de ronces, de longues herbes folles, et surtout de roses trémières fleuries partout, en quenouilles géantes. Un dédale de petits appartemens étranges, bas et sombres, ornés de mosaïques ou de peintures qui s’effacent ; il en est d’orientés dans toutes les directions, pour que l’on ait, à chaque moment de la journée, l’ombre et la fraîcheur, et pour que l’on puisse rêver tantôt devant les parterres mélancoliques et sans vue, tantôt devant les grands lointains sauvages, les forêts à tigres, ou bien encore devant les blancs palais de féerie, bâtis sur la rive plus prochaine. Oh ! qui dira ce qu’elles ont étouffé de drames ou de traînantes agonies, les petites chambres de l’île, les petites chambres aujourd’hui abandonnées, lentement détruites par l’humidité du lac, la moisissure et le salpêtre ?... Dans des niches du mur, en pleine pénombre sépulcrale, il y a des bibelots scellés sous des vitres, de pauvres choses venues d’Europe et qui devaient être précieuses, ici, il y a cent ans : porcelaines vieillottes, bonshommes de Saxe en habit Louis XVI, fleurs artificielles dans des petits vases Empire... Quelles reines, quelles