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dont la force de résistance a simultanément diminué : la résistance à la traction dans la direction du membre y est restée grande ; elle est devenue faible, au contraire, dans le sens de l’axe d’un certain muscle qui est le muscle autotomiste. La contraction de celui-ci a cessé d’avoir besoin de la sollicitation de la volonté ; elle est devenue progressivement réflexe comme il advient à tous les mouvemens habituels. De telle sorte que l’effort désordonné certainement volontaire et intentionnel au début, serait devenu, au cours des générations, réglé, économisé et purement réflexe. Et c’est cet état qui s’observe chez le crabe. Lorsqu’on pince l’une des pattes, l’animal la soulève, l’appuie légèrement contre le bord de la carapace ; on entend un craquement, et la patte tombe, brisée le long d’un sillon circulaire qui préexiste au milieu du deuxième article.

C’est là un type d’explication classique. Nous n’y ferons qu’une légère restriction. C’est que l’amputation envisagée dans son caractère actuel n’est plus seulement un acte de défense évasive. Il peut arriver qu’il ne serve pas à l’évasion ; que celle-ci soit impossible. Il sert alors à la préservation de l’animal ; la blessure faite par un carnassier qui aurait pour conséquence une hémorragie mortelle, reste sans inconvénient grâce à l’autotomie. On pourrait dire, à cet égard, que l’amputation est devenue un acte de défense curative.

C’est dans l’interprétation des actes de ce genre qu’apparaît nettement la différence foncière des points de vue des hommes de science, suivant qu’ils sont zoologistes ou physiologistes. Le zoologiste, le naturaliste, cherchent à situer le phénomène dans la nature : ils lui assignent une place et un rôle en rapport avec l’idée qu’ils se forment de l’utilité qu’il peut avoir. C’est ce qu’ils appellent « expliquer » le phénomène : et c’est là une explication finaliste. « C’est, dit Huxley, pour conquérir sa liberté que l’écrevisse rompt son membre captif. » « C’est, dit un autre, — M. Parize, — sous l’influence de la peur que lui fait éprouver le terrible poulpe, l’octopus, que se produit cette rupture. » — Le physiologiste, comme le physicien, cherche l’explication scientifique du mécanisme phénoménal, abstraction faite des déductions, inductions et vues hypothétiques qu’il peut permettre. Le crabe rompt sa patte, parce qu’une excitation partie du membre plus ou moins froissé ou blessé s’est réfléchie sur un centre nerveux et a provoqué la contraction brusque et excessive de muscles normalement destinés à étendre le membre.