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On rencontre, dans le monde animal, une multitude d’éclopés : des lézards et des iguanes sans queue ; des crabes, des langoustes, des écrevisses qui n’ont pas leur nombre de pattes ; des étoiles de mer amputées de quelques-uns de leurs rayons ; des araignées bancales ; des annélides incomplètes. Beaucoup de ces invalides ont perdu leurs membres à la bataille ou les ont laissés entre les dents de l’ennemi. Mais, il y en a beaucoup aussi qui sont les propres auteurs de leurs mutilations. Il existe, en un mot, des exemples innombrables d’amputations spontanées. Des recherches récentes viennent de rappeler l’attention sur ces curieux phénomènes, dont l’ingénieux physiologiste de l’Université de Liège, M. Léon Frédericq, a fait connaître, il y a quelques années, la véritable nature.

Il y a, dans tous les embranchemens du règne animal, des espèces qui sont capables de pratiquer sur elles-mêmes l’amputation d’un membre ; et cela, dans des cas où ce sacrifice révèle une apparente sagesse. Le lézard, que l’enfant saisit violemment, échappe souvent à cette étreinte en laissant dans les mains de son persécuteur un fragment de queue brusquement détaché, et il s’évade allègrement vers les cachettes ménagées dans la vieille muraille. L’orvet, qui habite aussi les trous des murs ou qui se creuse des galeries souterraines, se libère au prix du même sacrifice. Tout le monde a vu cette sorte de lézard sans pattes qui a toutes les apparences d’un serpent ; il est très commun partout et tout à fait inoffensif, malgré le préjugé contraire. Il vit d’insectes divers et de mollusques terrestres et ne cherche même pas à mordre lorsqu’on le saisit. Il est connu du vulgaire sous le nom de serpent de verre, qui exprime précisément son extrême fragilité, ou plutôt la fragilité de sa queue, qui se casse beaucoup plus aisément encore que celle du lézard.

Les vertébrés ne nous offrent pas d’autres exemples d’animaux sujets à l’amputation spontanée. Mais, en revanche, l’embranchement des articulés est extrêmement riche sous ce rapport. Insectes de divers ordres, arachnides, crustacés, se débarrassent de leurs pattes avec la plus grande facilité, dans certains cas pressans. Et, à vrai dire, ce sacrifice — que nous allons voir n’être pas du tout volontaire — n’a pas non plus le mérite d’être définitif et sans retour ; car, le plus souvent, le membre perdu se régénère et se rétablit en peu de temps. — Parmi les mollusques, les phénomènes d’autochirurgie sont plus rares ; on voit cependant des lamellibranches comme les Solen, et des