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aussi bien que celle de l’Espagne, « il nous faut dire que l’Espagne et la France traversent en même temps une même phase de l’évolution de la « littérature européenne. » Ici encore la question est plus haute que de savoir qui des deux est supérieur à l’autre, du Cid de Corneille ou de celui de Guillen de Castro, plus générale et plus intéressante que d’examiner lequel des deux est le plus espagnol ou le plus français. Car, souvent, c’est à cela que se réduisent les études de « littérature comparée » qu’on nous donne ; et on est étonné, selon les cas, amusé ou irrité de voir qu’un gros livre, bien savant et bien « documenté » sur le Roman picaresque, n’aboutisse qu’à prouver que Mateo Aleman fut un auteur espagnol, et Alain-René Lesage un écrivain français ! Il y avait a priori de fortes raisons de le croire ! Mais ce qu’il fallait essayer de montrer c’était, entre des mains différentes, ce que devient une même « matière, » et comment, tout en subissant les mêmes influences, l’originalité des génies nationaux ou des talens individuels trouve pourtant les moyens de s’en libérer.

Ou, en d’autres termes, étant donné le sujet du Cid, et généralement la matière du théâtre espagnol, quels en sont les rapports avec le génie national de l’Espagne ; — comment, dans quelles conditions de fait, à la faveur de quelles circonstances, et pourquoi, par lesquelles de ses qualités, ou peut-être de ses défauts, par quels traits de ce qu’on en pourrait appeler l’état signalétique, ce théâtre a-t-il fait fortune hors de ses frontières ; — de quelle manière, en l’imitant, ou plutôt en essayant de se l’approprier, les exigences de l’esprit français, ou anglais, ou allemand, l’ont-elles transformé ; — de quel progrès de l’art ou de la pensée cette transformation a-t-elle été l’origine, ou le signal, ou quelquefois le chef-d’œuvre ; — qu’est-ce qu’un Corneille ou un Racine y ont ajouté de leur fond, je veux dire d’eux-mêmes, et pour ainsi parler de leur substance, — et enfin, de ce concours d’influences ou de leur contrariété même, de cette succession de métamorphoses, de cet accroissement de signification profonde, quel enrichissement en est-il résulté pour l’art dramatique, pour la littérature européenne, pour l’esprit humain, ce sont les questions auxquelles il faudra que la « littérature comparée » s’efforce de répondre. Elle n’y réussira qu’en assouplissant ce que ses méthodes ont présentement d’un peu raide, et surtout qu’en élargissant ce qu’elles ont de trop étriqué. Elle devra aussi préciser