D’un autre côté, si l’on veut que Corneille, séduit à la beauté du sujet du Cid, et averti par son succès même, ait entrevu, dans le théâtre espagnol, une conception particulièrement passionnée de l’amour, on est obligé pourtant de reconnaître qu’il n’y a qu’un Cid dans son œuvre entière, — qu’un Rodrigue et qu’une Chimène ; — et, au résumé, rien n’est moins espagnol, si rien n’est moins passionné, je veux dire moins ardent, plus raisonnable et moins fou, moins « romantique » enfin, que l’idée qu’il s’est formée de l’amour. « Lope de Vega, Calderon, Alarcon, dit à ce propos M. G. Huszär, ont vécu d’une vie orageuse, romanesque, analogue à celle de leurs héros ; Lope ne renonça même pas à l’amour, quand, dans sa vieillesse, il se fut retiré dans le sein de l’Eglise. La vie de Corneille, au contraire, a été régulière, monotone ; il ignora les élans fougueux du cœur, et aima à peine... quoi qu’il ait fait un mariage heureux. » Et, à la vérité, je ne sache pas que Shakspeare ou Racine, qui furent pourtant, s’il y en a, des poètes de l’amour, aient, eux non plus, beaucoup aimé. Peut-être, comme le dira Figaro, « n’est-il pas toujours nécessaire de tenir les choses pour en parler ! » et pourquoi l’un des caractères du génie ne serait-il pas précisément le pouvoir qu’il aurait d’anticiper ou de suppléer l’expérience de la vie ? En tout cas, et quelle qu’en soit la cause, l’amour, dans le théâtre de Corneille n’est habituellement que de la « galanterie ; » et, de cette « galanterie, » dans une société qui vivait, comme la société de l’hôtel de Rambouillet, les intrigues amoureuses de l’Astrée, de l’Endymion ou du Polexandre, le poète, pour en trouver autour de lui des modèles, n’avait qu’à ouvrir les yeux. C’est à cet égard encore qu’il est bien de son temps, et du monde où il fréquente. La « galanterie, » dans le théâtre de Corneille, ne se sépare point du langage qui lui sert d’expression, et on n’aime point tant chez lui les belles personnes, que la beauté des sentimens qu’elles inspirent, ou l’honneur qu’elles font à leurs galans de s’en laisser aimer.
Et n’est-il pas bien encore et toujours de son temps, je veux dire : a-t-il eu besoin des leçons de l’Espagne, quand, avant le Cid, mais bien plus après le Cid, il donne au ressort de l’honneur, ou du « point d’honneur, » dans sa tragédie, l’importance qu’il lui donne ? On pourrait discuter. Mais j’aime mieux avouer qu’ici, l’exaltation du point d’honneur apparaît comme tellement caractéristique du théâtre espagnol, et il faut même dire de la