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n’en ont pas assez mis en lumière le caractère d’actualité, le moment est venu de le faire. Le Polyeucte de notre poète est-il vraiment inspiré de Calderon, — dont M. G. Huszär, à ce propos, cite jusqu’à trois pièces : El principe Constante ; Los dos amantes del cielo, et El José de las mujeres ? — Je ne saurais le dire ; et la preuve n’en est pas encore faite. Mais ce que l’on peut faire, et ce que Sainte-Beuve a fait dans son Port-Royal, c’est de montrer le rapport de Polyeucte, sinon peut-être avec le jansénisme, du moins avec les préoccupations religieuses qui agitaient les esprits aux environs de 1640. C’est le Saint-Genest de Rotrou dont on ne voit pas les liaisons avec cette nature de préoccupations, qui est situé en dehors du temps, dont les péripéties se déroulent dans la région vague et indéterminée qui est avant Corneille l’habituel « milieu » du théâtre français, comme en général aussi du théâtre espagnol ; et, après la supériorité du style, rien, à notre avis, n’est plus caractéristique du génie de Corneille, que ce qu’il y a dans son théâtre, pour reprendre les expressions de M. G. Huszär, de précisément « issu du sol natal » et comme de « jailli de l’organisme vivant d’une nation. »

Est-ce que, d’ailleurs, nous nierons pour cela l’influence du théâtre espagnol sur le génie de Corneille ? En aucune manière, et au contraire, si nous sommes justes, nous saurons gré à M. G. Huszär de l’avoir mise en tout son jour. Un critique français écrivait, il y a quelques années, que la « part de l’influence espagnole dans le théâtre de Corneille se réduit à deux tragédies : Le Cid et Don Sanche d’Aragon, et à deux comédies : Le Menteur et la Suite du Menteur : » c’est une « erreur grave, » répond M. G. Huszär, et il le prouve. Nous serons sages de nous en souvenir. La lecture d’une pièce de Lope de Vega, El honrado hermano, semble bien n’avoir pas été tout à fait étrangère au choix du sujet d’Horace ; et on trouve au moins de curieux rapports entre la Théodore de Corneille et Los dos amantes del cielo, de Calderon. Il y en a de plus étroits encore entre une autre pièce de Calderon. En esta vida todo es verdad y todo es mentira, et la tragédie d’Héraclius ; et, si la critique française admet communément que c’est Calderon qui aurait imité Corneille, M. G, Huszär ne partage pas cette opinion, et il en donne d’assez bonnes raisons. Editeurs ou commentateurs, biographes ou historiens futurs de Corneille, nous devrons tenir compte de ces rapprochemens, et nous n’imiterons pas M. G. Lanson, qui,