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fantastiques forteresses, prolongent à l’infini l’illusion et la tristesse des cités détruites.


Non loin des murs de la ville morte, il y a cependant de grands dômes soigneusement blanchis, qui n’ont pas l’air de ruines ; et ils s’élèvent au milieu de bocages enclos, dont la verdure encore vivante, presque fraîche, étonne sur cette terre calcinée. Ce sont les tombeaux des anciens rois de Golconde ; grâce au respect des Indiens pour la mort, ils ont été épargnés, et, en ces dernières années, on a replanté alentour les grands jardins funéraires.

Plusieurs sultans et sultanes de ce féerique royaume sont là endormis sous les larges coupoles superbes. Un seul d’entre eux manque à la muette compagnie, le dernier, qui pourtant avait fait construire lui-même sa demeure d’éternité, mais qui fut chassé de sa sépulture comme de ses États par Aurangzeb le conquérant, et mourut en exil.

Leur lieu de repos est exquis ; on y retrouve, un peu étiolés par la chaleur de l’Inde, nos cyprès, arbres des morts dans les cimetières d’Orient comme dans les nôtres ; les allées de sable fin y sont droites comme dans nos vieux jardins de France, avec des alignemens de vases contenant des rosiers tout roses de fleurs. Des équipes de femmes et de jeunes filles, chargées d’entretenir la vie factice de cette oasis, déversent matin et soir sur les plates-bandes une eau rare qu’elles apportent dans des vases de terre et que des hommes tirent à grand’peine du fond des puits, creux comme des abîmes.

De loin, la chaux donnait à ces dômes un faux air vivant. Mais l’intérieur des vastes mausolées n’a plus une peinture, plus un objet d’ornementation ; tout le luxe d’autrefois s’y est éteint dans la vétusté grise.

Cependant, sur chaque petit tombeau de marbre, isolé sous sa coupole vide, il y a des guirlandes de fleurs, — hommage d’une piété adorable, à ces souverains dont la dynastie s’est éteinte depuis trois fois cent ans.

Le charme étrange et nostalgique de ces jardins, entretenus à force d’arrosage au milieu d’une solitude brûlée, est que les cyprès longs et frêles y voisinent avec les palmiers, et que, sur les vases de roses, des colibris confians voltigent, comme feraient chez nous des papillons.