sujet n’est rien, ou assez peu de chose ; et tout dépend de l’usage que l’artiste ou le poète en sait faire.
... Pour que le néant ne touche point à lui,
C’est assez d’un enfant sur sa mère endormi ;
a dit Musset, et, s’il ne nous avait lui-même avertis qu’il parlait
là de Raphaël, de combien de peintres, de Pérugin et de Titien,
de Léonard et de Corrège, de Memling et de Rubens n’en aurait-il pas pu dire autant ? Mais je n’ai pas voulu tout à l’heure sortir
du domaine de la littérature française : restons ici sur le terrain
de la littérature dramatique. De quelles sources Lope de Vega,
Calderon, Alarcon, Tirso de Molina ont-ils tiré les sujets de leurs
Comedias ? C’est une recherche que je ne sache pas que l’on ait
encore faite. Mais nous connaissons les sources de Racine, qui
semble avoir affecté de ne porter à la scène aucun sujet qu’un
Rotrou, qu’un Scudéri, qu’un la Calprenède n’y eussent traité
avant lui. Nous connaissons les sources de Shakspeare, et toute
la critique est tombée d’accord que, pour être imitée des nouvelles de Bandello et de Luigi da Porta, — qui sont elles-mêmes
des chefs-d’œuvre, — l’originalité de son Roméo et Juliette n’en
était pas diminuée. Et nous connaissons encore les sources d’Euripide, de Sophocle, et d’Eschyle, lesquels n’en sont pas moins
tout ce qu’ils sont, pour avoir l’un après l’autre traité les mêmes
sujets, et les avoir tous ou presque tous reçus d’une tradition
légendaire dont il ne semble pas qu’ils aient altéré les grandes
lignes. Leurs Agamemnon, leurs Electre, leurs Oreste ne sont, à
proprement parler, que des « adaptations. » Leur originalité,
quelle qu’elle soit, consiste donc en autre chose que dans l’« invention » de leurs sujets, au sens littéral, mais peu littéraire,
du mot. S’ils sont poètes, ce n’est pas pour les avoir « trouvés. »
Ce qui fait l’intérêt ou la valeur de leurs tragédies, comme aussi
bien des drames de Shakspeare, et des « comédies » de Calderon
ou de Lope de Vega, n’a qu’un lointain rapport avec le sujet de
leurs pièces, puisque les mêmes sujets, en d’autres mains, n’ont
pas rendu les mêmes effets, ni produit les mêmes chefs-d’œuvre
Et, généralement, les « critiques français » auraient tort de vouloir « démontrer la supériorité des adaptations sur leurs originaux, » mais les critiques hongrois ou allemands n’auraient pas raison, eux non plus, s’ils posaient en principe la « supériorité