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du Cid de Corneille sur celui de Guillen de Castro, ou encore de son Menteur sur celui d’Alarcon. En d’autres termes, ils ont soutenu, et ils soutiennent, avec beaucoup de critiques ou d’historiens qui ne sont pas Français, qu’une « adaptation » n’est pas de soi, comme telle, en sa seule qualité d’adaptation, nécessairement ou fatalement inférieure à son « original. » Elle le serait peut-être, si les questions littéraires se décidaient en quelque manière a priori, logiquement, et sans avoir égard à la réalité de l’histoire des littératures. Mais, en fait, l’histoire des littératures est remplie d’« adaptations » qui passent, et à bon droit, pour être « supérieures à leurs originaux. » Ne sortons pas encore du domaine de la littérature française et supposons, puisque aussi bien c’est ce qui est en question, que le Cid de Corneille soit « supérieur » à celui de Guillen de Castro : il en sera donc en ce cas du Cid de Corneille comme de l’Ecole des Femmes de Molière, qui est très « supérieure » à la nouvelle de Scarron : La Précaution inutile, dont elle n’est qu’une « adaptation ; » et comme du Bajazet de Racine, qui n’est aussi qu’une « adaptation » de la Floridon de Segrais, dans ses Divertissemens de la Princesse Aurélie, et combien au-dessus de son modèle ! Mais il ne s’ensuivra pas de là que la Suite du Menteur soit « supérieure » à la délicieuse comédie de Lope de Vega : Aimer sans savoir qui ; et aucun « critique français » n’a jamais soutenu qu’elle en fût autre chose qu’une « adaptation, » ou une « imitation » assez gauche, une copie dont la lourdeur a comme écrasé, en y appuyant, toutes les grâces légères qui font le charme de l’original.

Cette question de « supériorité » ou d’« infériorité » serait sans doute, ou du moins, — car elle ne le serait pas, et j’ai tort de faire cette concession, — elle pourrait paraître assez vaine, si elle ne se rattachait à la question de l’« invention dans l’art ; » et celle-ci, toujours très intéressante, n’a nulle part, on le conçoit, plus d’importance qu’en littérature comparée. Simplifions-la pour la mieux poser. Quis primus... qui des deux est le poète, celui qui « invente, » ou celui qui « achève ? » celui qui « crée, » ou celui qui « fait vivre ? » et quel est le créateur, celui qui « trouve la matière, » ou celui qui « lui donne une forme ? » Ici encore, nous n’avons qu’à consulter l’histoire, ou plutôt l’expérience, et nous verrons qu’en littérature comme en art, l’invention proprement dite, la découverte ou la « trouvaille » du