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quelques matelots russes qui passent. Son fils est habillé en cosaque et paraît ainsi dans les rues et aux bals de la cour ; ils n’ont pas le sens commun, tous. Au reste, ceci m’importe peu. Je songe maintenant à mettre à profit pour ma santé le temps que je suis en Allemagne, et j’espère que ce ne sera pas long, »

Ce devait être plus long qu’elle ne pensait. Elle se résigna, et trompa son attente en ne donnant aux devoirs diplomatiques que le strict nécessaire, en se consacrant à ses enfans, en les conduisant à la campagne, à la mer, aux eaux et en y séjournant le plus qu’elle pouvait. En septembre, sous les ombrages de Charlottenbourg, « elle ne s’ennuie ni ne s’amuse. » Sa vie est « douce et commode. » Elle la supporterait si elle en voyait la fin, « Mais, être sotte pendant quelques années encore, c’est violent ; et vrai, je crois qu’à moins de grands événemens, nous pourrirons ici. » Ces événemens, on les prévoit au mois d’avril 1811 : « Les environs se remplissent de troupes françaises. Vous aurez bientôt des lauriers à cueillir. Ces lauriers-là me feront sans doute prendre le chemin de la Russie et j’en serai fort aise. Ma santé n’est pas bonne, ma beauté est au diable et mon humeur pas brillante ; il n’y a pas de quoi l’avoir gentille non plus. »

Les vœux de Mme de Liéven ne se réalisèrent qu’a quelques mois de là, à la fin de 1811, au moment où Napoléon et Alexandre se préparaient à marcher l’un contre l’autre. Son mari fut rappelé ; elle quitta Berlin avec satisfaction, s’inquiétant cependant un peu « de ce qu’on allait faire d’eux. » Ils ignoraient encore qu’on leur destinait le poste de Londres, Nous allons maintenant les y suivre,


ERNEST DAUDET.