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« Elle m’a fait un accueil extrêmement aimable ; elle m’a retenue au delà de deux heures chez elle, m’a fait cent mille questions sur Pétersbourg, de vous aussi, et, en général, ne parle que Russie et Russes, qu’elle paraît aimer beaucoup. Elle m’a montré son appartement, qui est assez joli, surtout sa chambre à coucher, qui est arrangée dans le goût de Pétersbourg : des draperies, des albâtres, des colonnes et un grand encensoir fumant au milieu de la chambre ; en un mot, c’est très joli. Elle-même était mieux que tout cela. Elle avait un habit court ouvert par-devant, ponceau brodé d’or, broderies des uniformes de cosaques, les manches cosaques de même ; dessous, un habit en satin blanc, mêmes broderies en or, un bonnet demi-cosaque, demi-houlan, sur la tête, fort haut, large par le haut, étroit par le bas, ponceau et or, comme l’habit. Cela faisait un costume charmant et lui allait à merveille ; collet montant comme les cosaques. C’était assez singulier, mais joli. Elle n’a pas changé depuis Pétersbourg ; mais le roi est un peu engraissé. C’est aujourd’hui la fête de la reine, il y a un grandissime bal au grand palais. J’y vais, et je serai aussi belle que je puisse l’être. »

Elle ne parle pas de la société de Berlin aussi favorablement que de la toilette royale. Trois mois après son arrivée, elle sent qu’elle va s’ennuyer beaucoup. » Les sociétés sont tuantes, les femmes très peu aimables ; les hommes ne le sont qu’autant qu’on leur donne à manger, et, comme ma maison n’est point encore montée à recevoir beaucoup de monde, je ne puis pas juger de l’effet que produirait mon cuisinier sur leur humeur. Je me borne maintenant à voir quelques étrangers, parmi lesquels les ministres de France et d’Autriche, tout ce qu’il y a de plus distingué et qui serait distingué partout sous tous les rapports. Je suis invitée parfois à dîner chez des Majestés et des Altesses. Mon mari et ses collègues sont traités en marchandise anglaise. Il sort du reste plus que moi. Je me promène au parc avec mes enfans, et puis je mange et je dors : voilà les plaisirs de Berlin. »

Le temps ne modifie pas son opinion sur les personnages du milieu où elle vit : « Ce sont de drôles de gens. Le roi est bien peu de chose et entêté comme toutes les bêtes. On lui a remâché qu’il ne devait pas avoir l’air trop bien avec nous et il suit très exactement cet avis envers nous, et au delà ; et, d’un autre côté, il va, à ce qu’on dit aujourd’hui, faire trente milles pour voir