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encore durer bien longtemps. Ils marchent maintenant avec l’armée, Dieu sait quand ils pourront la quitter. J’ai au moins l’avantage sur les autres femmes d’avoir tous les jours des nouvelles bien fraîches. Je ne sors point du tout, excepté pour voir ma belle-mère. On dit qu’une forte armée française se trouve fort près de chez vous. Je vous avoue que cela me donne bien des inquiétudes et me fait désirer bien vivement des lettres de votre part. » Ni dans celle-là, ni dans les suivantes, il n’est parlé de la bataille d’Austerlitz qui vient de mettre aux prises Français et Russes.

En revanche, l’année suivante, au jour anniversaire de ce mémorable combat, une lettre du comte de Liéven, datée de Saint-Pétersbourg et adressée à son beau-frère, au quartier général de Benningsen, trahit les alarmes de la cour de Russie.

« Ne négligez pas, mon cher ami, de me mander tout ce qui est intéressant à savoir, accompagné même de vos réflexions ; je saurai en tirer un bon parti pour le bien général. Vous m’avez dit que Benningsen a besoin d’être encouragé. Aussi n’ai-je pas manqué de soigner un rescrit très flatteur que le courrier porteur de la présente lui a remis. Mais je ne puis vous cacher, mon cher ami, l’inquiétude que j’ai sur le sort de notre armée depuis aujourd’hui. Cette journée qui nous fut si fatale l’année passée peut avoir produit un second revers et, dans le moment que vous recevrez cette lettre, il doit y avoir eu de grands événemens chez vous. Je fonde ces suppositions par les nouvelles que nous avons de la marche de l’armée française. Je crois entrevoir les calculs de Bonaparte de donner une bataille le même jour. Si Benningsen, dans ce cas, aura eu le bon esprit de se replier sur Bonshorden[1], voyant les forces de l’ennemi supérieures aux siennes, le danger ne pourra pas être grand. Mais, je crains qu’il n’aura pas voulu plier et par là se sera trop exposé. Kamensky est parti le 46 ; une troupe de jeunes gens l’ont suivi ; Kretoff est du nombre ; Knorring est parti aujourd’hui. Tout ce qui a pu être envoyé d’ici pour subvenir aux besoins de larmée a été fait ; toutes les mesures que l’urgence des circonstances a exigées ont été prises ; enfin on a fait ici tout ce qu’il a été possible de faire. Si les premiers coups ne sont pas décisifs, il y a de l’espoir que nous finirons par des succès, surtout si nous pouvons nous tenir

  1. Le général Bonshorden commandait le corps d’armée qui suivait celui de Benningsen.