Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/189

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En réalité, ils ont dominé toujours toutes ses autres préoccupations. La petite nouvelle née ne vécut pas. En 1807, il n’en est plus question dans la correspondance qui est muette quant à l’époque de sa mort. Trois berceaux ont remplacé le sien et contribué sans doute à rendre moins cruelle à sa mère sa disparition. Au mois de mai de cette année, à peine relevée de couches, Dorothée mande à son frère : « Mes trois garçons vont bien. Constantin sera bien joli avec le temps ; il l’emportera certainement sur les deux aînés, quoique je ne pense pas qu’il puisse faire tort à mon affection pour Paul. » Désormais ses lettres témoigneront, pour la plupart, de sa sollicitude maternelle et de son désir de faire de ses fils des hommes dignes d’elle.

A la même date, les dramatiques événemens déchaînés en Europe par les visées ambitieuses de Napoléon se compliquaient et s’aggravaient. Des divers points où on les avait vus d’abord se dérouler, ils se répercutaient en coups retentissans jusqu’aux frontières de l’empire russe. L’armée française les avait franchies en entrant en Pologne. Austerlitz, Eylau, Friedland sont, de la fin de 1805 au milieu de 1807, les étapes de la marche épique qui conduisait l’un vers l’autre Napoléon et Alexandre. Des actions sanglantes préludaient à la paix de Tilsitt. La guerre d’où allait sortir l’alliance mettait le monde en feu.

En lisant les lettres qu’écrivait à cette époque à son frère Mme de Liéven, on est étonné de n’y recueillir que de rares échos des inquiétudes auxquelles les victoires françaises livraient la Russie. Cet étonnement est d’autant plus fondé que les préoccupations patriotiques se doublaient pour la jeune femme de préoccupations d’ordre plus intime non moins douloureuses. Son mari était désigné pour suivre l’Empereur dont on annonçait le prochain départ pour l’armée ; son frère venait d’y être envoyé, comme attaché à l’état-major du général en chef Benningsen. C’est à peine cependant si sa correspondance mentionne ces événemens. Quand elle y fait allusion, c’est pour souhaiter des succès à son cher Alexandre ou pour se plaindre d’être séparée de son mari dont les absences, durant cette période, furent fréquentes.

Lors de la première, à la fin de 1805, elle écrit : « Vous n’avez pas d’idée combien cette séparation d’avec lui m’est pénible puisque je suis tout à fait dans l’ignorance du moment où je pourrai le revoir et que, selon toute apparence, leur absence doit