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Enfin, vers la mi-février, un heureux accouchement met un terme à sa grossesse. Son frère en est aussitôt averti ; le mois suivant, le comte de Liéven lui confirme la nouvelle : « Je suis père enfin, mon cher ami. Ma femme a très heureusement accouché d’une fille et moi d’un gros volume d’inquiétudes. Elle est déjà presque entièrement rétablie, quoiqu’il n’y ait pas encore quatre semaines qu’elle est délivrée du petit mignon d’enfant que je souffre un peu plus que ses semblables. »

Les inquiétudes dont parle ici le comte de Liéven, il était destiné à les ressentir d’année en année, pendant les trois suivantes. Dans cet intervalle, sa femme lui donna trois fils : Alexandre, Paul et Constantin. La naissance de sa fille l’avait mise en goût de maternité et préparée à être la mère admirable que révèle jusqu’à la fin de sa vie sa correspondance. Elle le fut avec son premier enfant comme avec les autres. Dans la plupart de ses lettres à son frère, elle parle de sa fille : « Je passe mon temps chez ma petite quand je ne suis pas interrompue par le monde. » — « Ma petite a été vaccinée la semaine passée, voilà une grande inquiétude de moins pour moi. Elle va bien et j’espère pouvoir la produire dans le monde sous quelques jours. » — « L’Impératrice voulait que j’allasse à Paulowsky comme les années précédentes. Mais je m’en suis dispensée celle-ci à cause de ma petite qu’il y avait trop d’embarras à transporter là-bas, outre que j’aurais été peut-être logée dans des appartemens humides. Je suis donc restée toute seule ici avec elle et mon temps s’est passé plus vite que je ne l’avais cru : elle commence à devenir bien gentille, bien jolie. Que ne donnerais-je pas pour que vous la vissiez, mon cher Alexandre ; vous l’aimeriez, j’en suis sûre. » — « Je ne sais ce que je donnerais pour que vous vissiez mon mari avec son enfant. Il en est occupé sans cesse. Vous n’avez pas d’idée comme il l’aime. Dans le fait, elle est charmante, cette petite créature, et bien faite pour plaire. Elle a tant d’esprit, d’entendement. Comme je voudrais déjà qu’elle pût parler. »

Ces propos sont ceux de toutes les mères. Mais ils sont à signaler, tenus par une femme qu’on verra bientôt occuper la première place dans les milieux diplomatiques et qu’on pourrait croire, à ne la voir que là, assez dédaigneuse de ses devoirs maternels, disposée à ne pas prendre au tragique les soucis que lui donnent ses enfans.