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parti. La populace était furieuse. On dit que dans la confusion le grand maître de la police a été maltraité. »

Au commencement de novembre, elle est toute è la joie ; son père, qu’elle n’a pas vu depuis longtemps, vient passer quelques jours près d’elle. « Il occupera vos chambres. Je les ai fait arranger fort joliment. La petite chambre qui répond à la bibliothèque en haut sera son cabinet, il y a de nouvelles tapisseries françaises fort jolies, un divan en perse, des rideaux à l’antique... et dans l’escalier un tapis anglais qui fait fort bien... L’Impératrice mère est de retour en ville ; elle a recommencé son train de vie ordinaire. Elle ne se montre jamais en public, ni aux messes, ni aux Ermitages. »

La retraite en laquelle s’est confinée l’auguste veuve de Paul Ier fait contraste avec les divertissemens de la cour. Elle assiste, le 30 novembre, à l’inauguration du théâtre de pierre, « le plus beau qui existe, » écrit Mme de Liéven, pouvant contenir deux mille spectateurs, brillamment éclairé « par une vingtaine de lampes à quinquets » qui répandent « une clarté incroyable. » On fait toilette pour y aller « parce que l’on quitte en bas déjà ses pelisses, le théâtre étant plus chaud qu’aucun appartement. » Pour attendre ses voitures, « il y a douze foyers revêtus de faux marbres et ornés de statues. C’est de la plus grande magnificence. » Mme de Liéven parle, avec le même enthousiasme, d’une représentation donnée le 12 décembre au théâtre de l’Ermitage, par Mlle Félix, nouvelle actrice arrivée de Paris, « qui vient de se déclarer épouse de M. Andrieux, » comédien lui aussi, arrivé avec elle. « Ah ! mon cher, que vous avez bien fait de partir avant que de l’avoir vue ! Elle est jolie, belle tout ensemble, un maintien, une tournure, une mise la plus noble, la plus élégante du monde, un organe délicieux. Pour le jeu, elle dépasse de beaucoup la Valville. J’en raffole. »

Ce n’est pas trop de ces distractions ininterrompues pour consoler Mme de Liéven du gros chagrin que lui a causé le départ de la princesse de Wurtemberg. « C’est aussi vraiment une charmante femme ; on ne voit pas de figure plus intéressante ni de commerce plus agréable. Pendant son séjour ici, nous étions tous les jours ensemble. »

Est-ce ce chagrin qui dicte à la correspondante du « cher Alexandre, » au moment où s’achève cette année 1802 si pleine pour elle d’agitations, de bruit et peut-être de déceptions, ces