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Le long de ce « chemin » désolé, où le trot des chevaux soulève tant de poussière, on rencontre d’abord quantité de petites mosquées à l’abandon, quantité de petits minarets un peu croulans, mais qui ont des élégances rares, des finesses de fuseau. Ensuite, plus rien ; on s’enfonce dans les steppes brûlés, couleur de cendre, et les amoncellemens de blocs granitiques y forment çà et là des collines, des pyramides, des tumuli qui, à force d’étrangeté, n’ont même plus l’air d’appartenir à notre monde terrestre.

Après une heure de course, on arrive au bord d’un lac sans eau, desséché jusqu’à la vase de son lit, derrière lequel tout l’horizon est comme muré par un grand fantôme de ville, du même gris sinistre que le sol de la plaine. Et c’est là Golconde, qui fut pendant trois siècles une des merveilles de l’Asie.

On sait que les villes, les palais, tous les monumens des hommes semblent toujours agrandis lorsqu’ils sont en ruines. Mais vraiment cette apparition-là est un peu écrasante. Un premier rempart crénelé, d’au moins trente pieds de haut, avec des bastions, des mâchicoulis, des guérites de pierre, prolonge ses méandres jusque dans les lointains de la campagne déserte. Et, au-dessus de cette enceinte, déjà formidable, se dresse une citadelle cyclopéenne ; elle est une montagne que l’on a utilisée, une de ces montagnes singulières, une de ces agglomérations de blocs granitiques, auxquelles le pays doit l’imprévu de ses aspects : ce besoin du gigantesque, du surhumain, qu’avaient les rois et les peuples de jadis, a trouvé là tout à souhait. Parmi les monstrueux cailloux, on a accumulé des murailles, qui s’enferment les unes les autres, se superposent, enchevêtrent leurs lignes crénelées. Tout au bord des blocs les plus hardis, il y a des bastions avancés, surplombant des abîmes ; il y a des mosquées suspendues, à différens étages ; il y a des arceaux compliqués, de prodigieux contreforts. Et le caillou d’en haut, par superstition ou par fantaisie, on l’a laissé tel quel, accroupi au sommet de tout comme une grosse bête ronde.

A l’entrée de la ville morte, à côté de boulets empilés, de boulets de fonte et de boulets de pierre, de tout un attirail d’anciens sièges et d’anciennes batailles, voici de très modernes fusils à répétition formés en faisceaux : des soldats du Nizam, des sentinelles veillent, et il faut montrer au passage une autorisation spéciale. N’entre pas qui veut dans ces ruines, qui constituent