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à son commandement. Mais, pour faciliter à sa fille la transition d’un état à un autre, il laissait dans la capitale ses autres enfans : Alexandre, Constantin et Marie. Ils y finissaient leur éducation. Alexandre se destinait à l’armée, Constantin à la diplomatie. Quant à Marie, promue au rang de demoiselle d’honneur, elle allait bientôt vivre à la cour[1]. L’union était étroite et tendre entre les frères et les sœurs. Dès lors, on conçoit sans peine que Dorothée ait souscrit d’un cœur enthousiaste à l’arrangement qui fixait à ses côtés les compagnons de ses jeunes années et lui épargnait les tristesses d’une séparation dont son nouveau foyer, quelque bonheur qu’elle espérât y trouver, eût été assombri.

Dès ce premier jour, elle aima son mari. La preuve en est dans sa correspondance. On la voit à tout instant se louer de lui, se plaindre amèrement lorsque son service auprès de l’Empereur le retient loin d’elle, se réjouir quand il revient et plus encore quand il lui a annoncé en rentrant qu’il va pouvoir rester quelques jours à la maison. Parmi les nombreuses lettres que j’ai dans les mains et qui, de 1802 à 1838, se suivent régulièrement, j’en ai trouvé une sans date qui assurément a été écrite au lendemain du mariage, pendant une courte indisposition du cher frère Alexandre. Elle témoigne de l’état d’âme de la petite comtesse. Tout y révèle, en ce qui touche son mari, un parfait contentement.

« Croyez, mon cher Alexandre, que je souffre autant que vous d’être privée de vous voir dans ce moment. J’ai besoin de votre présence pour compléter mon bonheur. Je n’entreprendrai pas de vous le décrire. Vous connaissez mon mari (avec quel plaisir je lui donne ce nom !). Aussi vous devez comprendre combien je l’aime, combien je suis heureuse. Tâchez de vous remettre bien vite. Je suis d’une impatience extrême à vous voir et à vous dire tout ce que mon cœur ressent de tendre pour vous. Adieu, je t’embrasse tendrement[2]. »

  1. De cette sœur qui, nous dit-on, mourut jeune, il est rarement question dans la correspondance qui est sous nos yeux. Elle y est désignée sous le nom de Macha. On aimait dans la famille à se débaptiser, à substituer au prénom un diminutif, Alexandre devient Arrar ; Constantin, Costa ; Dorothée, Dacha. Elle-même, dans les premières années de son mariage, quand elle parle de son mari, ne l’appelle que Bonsi.
  2. Cette lettre ni celles qui vont de 1802 à 1813 ne figurent dans le recueil publié à Londres. Ce recueil contient uniquement celles qui furent écrites de 1813 à 1834 ; et encore s’en faut-il de beaucoup qu’elles y soient toutes, l’éditeur ayant eu surtout en vue de prendre dans la Correspondance ce qui intéressait exclusivement l’Angleterre. Pour le même motif, il n’en donne aucune d’une date postérieure à 1834.