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recevoir d’autres de leur successeur Alexandre Ier. Il n’oublia jamais que Mme de Liéven avait largement contribué à sa formation intellectuelle.

Les fils de la gouvernante, naturellement, participèrent à sa faveur. Entrés dans l’armée en 1777, ils allaient parvenir aux plus hautes fonctions militaires et civiles. L’aîné fut major général, curateur de l’université de Dorpat et, en 1833, sous le règne de Nicolas, ministre de l’Instruction publique. Avec le souvenir de sa science, dont l’étendue le différenciait de son cadet, il a laissé celui d’une dévotion intolérante, exaltée, poussée jusqu’au mysticisme et de fréquentes colères au cours desquelles il devenait si terrible que sa famille tremblait toujours devant lui. Son frère cadet, d’un naturel plus malléable, mais sec de cœur et d’esprit moins ouvert, fut aussi heureux dans sa carrière. On le verra tour à tour lieutenant général, ambassadeur à Berlin et à Londres, gouverneur du futur Alexandre II. A l’époque où se préparait son mariage avec Dorothée de Benckendorff, sous le patronage de l’Impératrice, il avait vingt-sept ans. Depuis trois ans, aide de camp de Paul Ier, il était nanti du portefeuille de la Guerre. Il exerçait ses fonctions ministérielles sous l’autorité directe et quotidienne de l’Empereur.

À ces détails, il est aisé de se figurer ce qu’était alors la situation de sa mère à la cour de Russie. En possession de l’amicale confiance de l’Impératrice, aimée par ses maîtres, adulée par ses inférieurs, enviée par ses égaux, la rigidité de ses mœurs, l’éclat de ses services, le prix qu’elle en recueillait incessamment lui assuraient un respect universel. L’Empereur venait de lui donner un nouveau gage de sa bienveillance, en accordant son consentement au mariage de son jeune ministre avec Dorothée de Benckendorff. Les deux familles s’étaient rapidement mises d’accord. Quant aux jeunes gens, de la joie qu’ils laissaient voir, on eût pu conclure que leur mariage était, à proprement parler, un mariage d’amour, si l’âge de la fiancée, — elle avait quinze ans, — n’eût autorisé les esprits sagaces et prévoyans à concevoir quelques doutes sur la durée des sentimens qu’elle éprouvait alors.

Après la bénédiction nuptiale, les nouveaux époux s’installèrent à Saint-Pétersbourg d’où les fonctions du mari ne lui permettaient pas de s’éloigner. Le général de Benckendorff retourna