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mot, « un poète qui a laissé couler toute son âme dans ses vers. » C’était, avec cela, un malade, et sa poésie n’a point la santé de celle des maîtres qui vont suivre : mais elle n’en est pas moins vivante, et elle atteste souvent, au point de vue de la forme, un immense progrès. « Ses Sonnets, par exemple, ont une douceur, une intimité, une beauté de langage, que ne dépasseront pas nos deux grands poètes classiques : tandis qu’ailleurs ses vers sont plats, banals, lourdement frivoles. » Quant à Voss, le naturel familier et touchant de sa Louise a certainement inauguré en Allemagne un mode nouveau du sentiment poétique : mais le principal mérite de cet estimable poète est dans ses traductions. Bien plus encore que sa Louise, son Odyssée a agi sur le courant littéraire de son temps. Avec les travaux des fières de Stolberg, c’est elle qui a ouvert les cœurs allemands à la profonde beauté des littératures anciennes.

Ainsi ces hommes, et maints autres à côté d’eux, travaillaient à recueillir les matériaux divers qui allaient constituer bientôt les grandes œuvres de Schiller et de Gœthe. Mais personne d’entre eux, peut-être, n’a prisa ce travail d’élaboration une part aussi active que Gœthe lui-même. La publication de Gœtz de Berlichingen en 1773, en 1774 celle de Werther, ont donné au mouvement du Sturm und Drang une impulsion, un élan, une ardeur extraordinaires. Pendant vingt ans, toute l’Allemagne s’est remplie de nouveaux Gœtz, de nouveaux Werther. Et rien n’est intéressant et touchant comme de voir de quelle façon le génie de Gœthe a ensuite réagi, au nom d’un idéal plus haut, contre un courant dont il avait été lui-même l’initiateur principal. En nous faisant assistera l’évolution des idées, des sentimens, et de l’œuvre de ce grand homme, M. Bartels, mieux que par toutes les analyses et tous les commentaires, nous aide à comprendre sa véritable grandeur.


T. DE WYZEWA.