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La Fontaine ; mais surtout l’on voit paraître, dès 1713, toute une série de journaux hebdomadaires rédigés sur le modèle du Spectator d’Addison. L’influence anglaise se retrouve également en Suisse, où Bodmer, en 1732, publie une traduction envers du Paradis perdu, de Millon. Mais autrement puissante est l’action de l’école de Leipzig, où un homme d’une intelligence et d’une énergie remarquables, Gottsched, travaille à répandre l’influence française. Depuis la tragédie cornélienne jusqu’aux farces de Molière, il n’y a point de genre où Gottsched, en collaboration avec sa femme, n’ait essayé d’imiter les auteurs français. Et le journal qu’il fonde en 1740, la Scène allemande ordonnée d’après les règles des Anciens, va continuer pendant de longues années à introduire on Allemagne toutes les nouveautés littéraires de Paris.

Mais déjà, vers 1740, les influences étrangères commencent à perdre un peu de leur efficacité. Déjà les poètes Gellert, Gleim, Cramer, « s’ils ne produisent pas encore un art vraiment national, savent du moins revêtir de bonne forme allemande ce qu’ils ont emprunté aux écoles françaises. » Et voici que, vers 1750, deux hommes apparaissent qui vont tirer un parti décisif de cette longue série d’imitations et de tâtonnemens, pour inaugurer en Allemagne une véritable littérature allemande. En 1745 paraissent les trois premiers chants de la Messiade de Klopstock ; en 1755, Lessing fait représenter sa première tragédie, Miss Sara Sampson. Bientôt se joint à ces deux hommes un troisième, Christophe Wieland, qui commence en 1752 sa traduction de Shakspeare. « Le rêve de Gottsched se réalise, mais sous une autre forme. Les influences française et anglaise durent encore ; mais l’imitation a pris fin, l’esprit allemand s’est émancipé ; des poètes sont venus qui savent exprimer la vie nationale d’une manière déjà toute à eux. »

M. Bartels étudie ensuite l’action exercée par les trois maîtres de cette période « pré classique. » Klopstock, d’après lui, a d’abord montré à son peuple ce qu’était et devait être un vrai poète. Il a également créé la nouvelle langue poétique allemande, rendant leurs droits à la fantaisie et au sentiment ; enfin, avec ses Odes, il a fondé en Allemagne la nouvelle poésie lyrique. Lessing, lui, s’est efforcé d’y fonder un théâtre nouveau ; et sa critique, ses articles de journaux, ont eu pour effet à la fois de stimuler le mouvement des idées et d’assouplir la prose allemande. Mais l’influence qu’il a nue tient surtout à sa personnalité. « Son goût pour les polémiques, sa franchise, sa hardiesse, la liberté de sa pensée, ont fait de lui, en son temps et jusqu’à nous, un des meilleurs représentans de l’esprit allemand. »Quant à