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littérature d’où semble avoir disparu tout reflet vivant du génie national.


Telle est, dans ses grandes lignes, la division de l’excellent ouvrage de M. Bartels. Mais je voudrais montrer encore, au moins par un seul exemple, de quelle lumière nouvelle l’auteur a su éclairer son sujet en y appliquant une méthode et des principes nouveaux. Aussi bien n’aurai-je pas de peine à choisir cet exemple : car, quoi qu’en dise M. Bartels, les origines de la littérature allemande ne diffèrent pas sensiblement de celles de la plupart des autres littératures de l’Europe ; et quant à la littérature allemande du XIXe siècle, si originale, si variée, si intéressante qu’elle soit, son histoire nous a été racontée trop souvent pour que nous n’en connaissions pas tout au moins les faits principaux : tandis que nous sommes infiniment plus ignorans de l’évolution littéraire du XVIIIe siècle, c’est-à-dire de l’enchaînement historique des idées et des œuvres qui, peu à peu, a contribué à produire les drames de Schiller et le Faust de Goethe.

« La majorité intellectuelle d’un peuple, dit M. Bartels, commence le jour où ce peuple est en état de produire un philosophe : ainsi la majorité du peuple allemand a commencé avec Leibnitz. » Mais le système de ce philosophe avait quelque chose de trop métaphysique et de trop personnel qui l’empêchait de valoir, pour l’Allemagne, comme un code du rationalisme libéral et bourgeois : ce code se trouva tiré de la philosophie de Leibnitz, dans les premières années du XVIIIe siècle, par le fameux Christian Wolff, qui ne devait plus cesser, pendant cinquante ans, de régner en maître sur la philosophie allemande. Et certes Leibnitz, Wolff, les piétistes Spener et Francke, attestent déjà un réveil de la pensée allemande ; le terrain est labouré, mais on ne sait pas encore ce que l’on doit y semer. Un compatriote et ami de Leibnitz, Christian Thomasius, écrit alors un discours Sur la manière dont on doit imiter les Français, et c’est en effet aux classiques français qu’on s’adresse d’abord, sauf à leur préférer bientôt pour modèles leurs imitateurs anglais, Pope, Gay, Addison et Milton. En 1700, le baron de Canitz, « le Malherbe allemand » publie un recueil d’épîtres et de satires en vers ; quelques années après, Neukirch fait paraître une traduction en vers de Télémaque. Mais l’imitation des Français et des Anglais ne porte vraiment ses fruits que vers 1720, où l’on voit se former trois véritables écoles, à Hambourg, dans la Suisse allemande, et à Leipzig. À Hambourg, l’influence anglaise prédomine. Brockes imite Pope et Thomson ; Hagedorn s’inspire à la fois de Pope et de