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sensiblerie conventionnelle, entoure le fait du jour de quelques phrases à effet. C’est de bonne besogne courante pour un journaliste qui sait l’art de traiter son public comme il le mérite. Ce n’est à aucun degré l’œuvre d’un moraliste, ni d’un auteur dramatique.

Dans ces dernières œuvres M. Brieux n’a pas modifié essentiellement sa manière ; mais il a exagéré tous ses défauts. De tout temps il a eu l’ambition de transporter les questions sociales au théâtre, et nous ne formons qu’un souhait c’est de l’y voir réussir, autant et mieux qu’il ne l’avait fait jadis. Pour cela il devra se souvenir que toutes les questions ne sont pas propres à être traitées par les moyens du théâtre, que l’intérêt qu’elles peuvent avoir en elles-mêmes ne dispense pas l’auteur dramatique de tout travail de mise en œuvre, et qu’il court un grand risque en se contentant d’une facture de plus en plus lâchée. Travailler à la réforme de la société est une noble entreprise, à condition pourtant d’y apporter des vues personnelles, des idées réfléchies, et non pas seulement des aspirations généreuses mais vagues. Quand on fait un grand effort contre une porte, encore faut-il faire attention que ce ne soit pas une porte ouverte. Et quand on est bien sûr qu’on a quelque chose à dire, encore faut-il travailler à le dire le moins mal possible.

Le rôle de M. Logerais est excellemment tenu par M. de Féraudy. Il était impossible de le composer avec plus d’intelligence et de justesse. M. de Féraudy a montré qu’on pouvait pousser le naturel jusqu’aux extrêmes limites, sans tomber dans la vulgarité et sans cesser d’être un artiste de goût et de style.

Mme Suzanne Després faisait dans le rôle de Marguerite ses débuts à la Comédie-Française. L’artiste a fait ses preuves sur d’autres scènes : on connaît assez ses qualités d’intelligence, son jeu âpre et nerveux. Il faudra qu’elle s’adapte à un cadre nouveau ; elle devra se départir aussi d’une affectation qui en vaut une autre, celle du naturel. Ce sera l’affaire d’un peu d’expérience et de quelques rôles classiques.

M. Dessonnes avait un rôle ingrat, celui d’André Logerais. Il s’en est tiré à son honneur. M. Berr a dessiné une silhouette pittoresque de galvaudeux. Mme Kolb a joué dans une note très juste le rôle de l’infortunée Mme Logerais.


RENE DOUMIC