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voit naître et grandir au cours de toute étude un peu approfondie et qui font hésiter le savant. De là ce ton d’assurance auquel on reconnaît aussitôt un docteur novice. Comme la plaie sur laquelle il vient de se pencher lui a été révélée à l’instant même, sa surprise et son émoi le persuadent que c’est la plaie essentielle des temps modernes, celle dont il faut sans retard guérir le corps social menacé de périr. Donc, il proclame sa découverte, appelle à grands cris le remède et le souhaite d’autant plus radical qu’il n’aura pas lui-même à le faire entrer dans la pratique. Obligé, et pour cause, de s’en tenir aux quelques idées qui flottent à la surface de tout sujet, il a chance d’être aussitôt compris et trouve dans la médiocrité intellectuelle de la foule une complicité toute prête. Au surplus et puisqu’il faut que tout polémiste, pour entretenir sa verve, ait un adversaire réel ou fictif, et, comme on dit, une tête de Turc, il peut à coups redoublés et à coup sûr frapper sur la société ; car il est convenu, depuis Rousseau, que d’elle seule nous viennent tous nos maux et que la nature est bonne. Il peut, sans se gêner, dénoncer la grande hypocrisie du siècle ; car nous sommes tous disposés à accepter en bloc cette accusation dont chacun de nous, pris à part, se montrerait singulièrement offensé. Nous applaudissons à tout rompre chaque fois qu’on flétrit un de ces crimes collectifs, où pourtant il faut bien que nous ayons notre part de culpabilité, puisque après tout ils ne se sont pas commis tout seuls. Le métier est sans péril et il est honorable. Cette éloquence est celle dont tous les journaux indistinctement saturent leurs abonnés de Paris et des départemens. D’une feuille à l’autre elle ne varie guère ses procédés, et on pourrait brouiller les signatures. Cet apostolat à la portée de tous est quasiment anonyme. M. Brieux est à un apôtre ce que Timothée Trimm est à Ezéchiel et ce que Jean de Nivelle est à saint Jean.

Une longue et fastidieuse chronique sur un sujet médical, voilà les Avariés. Ici l’erreur est tellement lourde qu’on a quelque scrupule à y insister. Et on sent combien il est inutile d’essayer de faire comprendre à l’auteur la portée des objections que soulève sa tentative, puisqu’il ne s’en est pas avisé lui-même ou qu’il a passé outre. Notez que sur le fond même du débat nous sommes pleinement d’accord avec lui. Nous sommes tous d’avis que les gens devraient être renseignés sur les conséquences de leurs vices. Nous convenons tous qu’un mariage contracté dans certaines conditions est un crime. Peut-être seulement est-ce une illusion de croire que la peur du mal suffise pour le faire éviter et que la connaissance du caractère criminel d’une action