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REVUE DRAMATIQUE

LE THÉÂTRE-CONFÉRENCE

Un auteur dramatique peut-il être un penseur ? Ce n’est pas l’habitude. Il semble même qu’il y ait une sorte d’opposition entre les qualités qui font l’homme de théâtre et l’homme de pensée. Est-il besoin de rappeler d’ailleurs qu’une comédie ne mérite quelque estime qu’à la condition de contenir des idées et d’en éveiller chez le spectateur ? Certes, ni l’habileté scénique, ni le style, ni l’esprit ne suffisent à l’écrivain de théâtre s’il n’est, en outre, un observateur, un moraliste, un connaisseur du cœur humain. Et pour se diriger dans son observation, il faut qu’il ait une idée de derrière la tête, un système plus ou moins arrêté, une conception de la vie, ou, pour parler plus court, une philosophie. Mais cette philosophie doit être tout intérieure, s’insinuer à travers l’œuvre, et non s’y étaler, s’épancher, faire montre et faire parade d’elle-même. Le théâtre est un genre qui a ses procédés, ses lois et ses limites ; l’objet en est essentiellement de nous montrer des tableaux de mœurs qui ressemblent, de dérouler devant nous des actions vraisemblables, d’y faire circuler des personnages doués de vie. Si l’auteur ne se sert de l’art que comme d’un moyen pour exprimer ses idées, ses théories, ses utopies, s’il fait de la scène une tribune ou une chaire, s’il disserte, s’il conférencie, s’il dogmatise, et s’il prêche, il risque fort de faire une œuvre qui, comme œuvre de pensée, ne soit négligeable, et comme œuvre d’art ne soit détestable.

La conception d’un théâtre moralisateur n’apparaît, chez nous, qu’avec le XVIIIe siècle et à mesure qu’on devient plus indifférent au mérite littéraire des œuvres. Diderot rêvait d’une sorte de drame