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silence, le chant de cristal de l’oiseau. Et ce n’est presque rien, ce peu de notes frôles ; mais c’est quelque chose d’étrange et qui attendrit, quelque chose comme le dernier sourire de l’adolescent confiant et pur, parmi ces hommes farouches, dont l’un médite sa mort.

On a dit souvent, avec raison, que l’art de Wagner est l’art de l’in fieri, de l’éternel devenir. Mais un revenir éternel en paraît également le principe, la condition et la loi. Le cortège funèbre de Siegfried et le monologue final de Brunnhilde offrent deux nouveaux exemples de ces prodigieux retours. Jamais l’accord ne fut plus étroit, la convenance aussi parfaite entre le sujet, ou la situation, et le génie du musicien, ou plutôt l’un des traits de ce génie : je veux dire le don symphonique, la puissance, — portée aussi haut qu’elle atteignit jamais, — de rassembler des idées ou des formes éparses, et de les combiner, de les refondre ensemble d’un seul jet, en un seul morceau.

Je ne sais pas de marche funèbre supérieure et surtout analogue à celle du Crépuscule des Dieux. Elle a ceci d’incomparable, qu’elle n’est pas seulement une marche, mais une oraison funèbre. Il faudrait la jouer à rideaux ouverts ; on voudrait en même temps voir ce cortège et l’entendre, et que la vie de ce mort lui fit deux fois escorte. Elle revit tout entière, évoquée par la vertu, par la magie du leitmotiv, qui triomphe en de semblables scènes. Le leitmotiv seul pouvait accomplir un tel miracle, ranimer tous les thèmes et comme tous les traits de Siegfried, les mélodies, les accords, les timbres même qui furent les signes sonores de sa destinée et de son être. Élargis, ennoblis et transfigurés par la mort, ils reviennent en foule. Mais ils reviennent en ordre aussi. Entre tant d’élémens qui se rejoignent et se soudent ensemble, l’esprit et l’oreille ne distinguent ni les soudures, ni les joints. La beauté se distribue partout et ne se divise nulle part. Elle ne porte pas sa restriction dans son partage, et la symphonie de deuil et de triomphe est admirable par l’unité, comme elle l’est par la composition, le rapport et la correspondance.

La magnificence du monologue ou du vocero final de Brunnhilde est de même nature. Par le pouvoir encore du leitmotiv et du leitmotiv seul, un tel sommaire était possible. De toutes les héroïnes d’opéra, parmi tant de mortes en musique, aucune jamais ne mourut ainsi. « Seigneur, dit à Perdican le chœur des vieillards, il est plus doux de retrouver ce qu’on aime que d’embrasser un nouveau-né. » Peu de musiciens nous font ressentir aussi profondément que Wagner cette douceur qui peut être poignante. Brunnhilde, ici, retrouve et rappelle non seulement tous ses amours, mais toutes ses douleurs. La vie, sa