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beaucoup plus profond ; et l’on sait que c’est dans la série des couches de sable et de gravier qui le tapissent et l’ont exhaussé qu’ont eu lieu les curieuses découvertes d’ossemens, de silex taillés, de haches et de débris de toute nature laissés par nos ancêtres ou nos précurseurs et qui ont donné lieu à tant de polémiques passionnées sur cet homme préhistorique, dont on a peut-être quelquefois un peu exagéré l’ancienneté. Ce qu’il y a d’incontestable, c’est, que le lit de la Somme, — et on peut dire aussi ceux de l’Authie et de la Canche, — se sont considérablement rétrécis et exhaussés depuis l’origine de notre dernière époque géologique. La tourbe et le gravier ont comblé les larges et profondes rivières de l’ancien temps ; et l’eau s’écoule en minces filets aujourd’hui, dans des thalwegs très étroits et qui ne s’élargissent qu’aux approches de la mer.

Bien qu’il soit impossible, en l’absence de textes anciens et de ruines ou de vestiges bien authentiques, de préciser quelle était, à l’époque de la conquête, la limite exacte de la terre et de la mer, on peut cependant affirmer que, du pied de l’escarpement du bourg d’Ault, qui marque la fin de la longue muraille crayeuse des falaises normandes, jusqu’au massif jurassique des collines du Boulonnais, c’est-à-dire sur plus de 60 kilomètres, la côte s’enfonçait en moyenne de 5 à 6 kilomètres. La mer ne pénétrait pas sans doute jusqu’à Amiens ; mais le fleuve, alors très large, permettait aux petits bateaux gallo-romains d’y remonter sans écluses ; et c’était là que se trouvait le premier passage d’eau, ainsi que l’indique l’ancien nom de la ville, Samara-briga.

La rade maritime commençait tout à fait en aval d’Abbeville. Le village de Port-le-Grand, aujourd’hui entouré de prés salés très fertiles, était, comme son nom l’indique, un lieu de stationnement pour les bateaux. A côté, en pleine campagne, se trouve aussi un bas-fond qui a conservé le nom caractéristique de Bonne-Anse.

Vers le milieu du XIe siècle enfin, l’embouchure de la Somme a été le théâtre d’un événement qui put être considéré tout d’abord comme une aventure, mais dont le succès eut les conséquences les plus graves pour notre histoire nationale. C’est, en effet, au pied de la petite colline qui domine le cap Hornu et que couronne la vieille chapelle de Saint-Valéry qu’a stationné pendant plusieurs semaines la flotte de Guillaume le Conquérant.