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conservant à peu près la même largeur, — près de 5 kilomètres, — nécessaire pour le passage de l’énorme masse d’eau qui pénètre dans la baie à chaque marée. Mais, si, depuis longtemps, la pointe du Hourdel n’a pas sensiblement progressé, comme les apports de galets continuent et continueront toujours, et qu’ils ne peuvent dépasser l’embouchure de la Somme, à cause des courans de flot et de jusant qui les arrêtent, elle s’est recourbée en crochet vers l’Est et a remonté l’estuaire. L’épi, qui n’était dans le principe qu’une flèche assez mince, un lido étroit, que la mer pouvait rompre assez facilement dans ses jours de colère, s’est considérablement renforcé, exhaussé et épaissi ; il est devenu une puissante digue, atteint en certains points une largeur de 400 à 600 mètres et s’élève à plus de 5 mètres au-dessus du niveau des plus hautes marées.

Cet appareil littoral, déformation relativement récente, est un des plus curieux qui existent sur les côtes de la Manche et du Pas de Calais. Le phénomène paraît d’ailleurs assez complexe. Non seulement la baie de la Somme qui avait, à l’origine des temps historiques, une largeur beaucoup plus grande que de nos jours, a été barrée par l’avancement progressif du banc de galets ; mais toute cette partie de la région littorale paraît s’être lentement soulevée ; et la plage de galets qui s’étend depuis Ault jusqu’au Hourdel présente une série de cordons et de bourrelets parallèles disposés avec une symétrie remarquable. Ce relief singulier ne peut guère s’expliquer qu’en admettant, dans le cours des siècles de notre dernière époque géologique et même pendant les temps historiques, un certain nombre de soulèvemens qui se seraient produits avec une très grande lenteur, à des intervalles et à des époques qu’il est assez difficile de préciser.

Peut-être faut-il y voir aussi, avec M. Girard, qui a si bien étudié les soulèvemens et les dépressions des côtes de la France, une conséquence de la constitution minéralogique du sol. « Le terrain crétacé, dit-il, qui s’infléchit sous l’estuaire de la Somme, peut être sujet à une action hygrométrique de foisonnement, et l’humidité entretenue par l’infiltration dans les sables finit avec le temps par exhausser sensiblement le terrain[1]. »

Quoi qu’il en soit, l’exhaussement de toute la plage est manifeste ; et, en certains points, cette plage ne présente pas moins de

  1. J. Girard, Les rivages de la France. — Les grèves de la Somme, 1895.