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successivement du champ de bataille, et qui avaient été au plus fort de l’affaire, se rangèrent de leur côté. « Vendôme, ne voyant plus nulle apparence de résister davantage à tant de convictions et poussé à bout de rage : « Oh ! bien, s’écria-t-il, messieurs, je vois bien que vous le voulez tous. Il faut donc se retirer. Aussi bien, ajouta-t-il en regardant Mgr le Duc de Bourgogne, il y a longtemps, Monseigneur, que vous en avez envie. » Ces paroles, qui ne pouvoient manquer d’être prises dans un double sens, et qui furent par la suite appesanties, furent prononcées exactement telles que je les rapporte, et assénées, de plus, de façon que pas un des assistans ne se méprit à la signification que le général leur voulut faire exprimer. Mgr le Duc de Bourgogne demeura dans le parfait silence, comme il avoit fait la première fois, et tout le monde à son exemple, en diverses sortes d’admirations muettes. Puységur le rompit à la fin pour demander comment on entendoit de faire la retraite. Chacun parla confusément ; Vendôme, à son tour, garda le silence, ou de dépit ou d’embarras, puis il dit qu’il falloit marcher à Gand, sans ajouter comment, ni aucune autre chose… Alors ce petit conseil tumultueux se sépara. Les princes, avec ce peu de suite qui les avoit accompagnés, prirent à cheval le chemin de Gand. Vendôme, sans plus donner nul ordre, ni s’informer de rien, ne parut plus en aucun lieu[1]. »

Tel est le récit de Saint-Simon, et pas un historien ayant à raconter cette triste journée n’a manqué de le reproduire sans le discuter. Michelet, qui sans doute y était, surenchérit. À l’en croire, « les assistans pâlirent et baissèrent les yeux. La foudre aurait eu moins d’effet. Un tel outrage au petit-fils de France ! Lui, il n’eut aucun embarras. Il était chrétien, étranger aux idées de l’honneur du monde. Il ne dit rien. Peut-être en son for intérieur trouva-t-il qu’en ce mot si dur tout n’était pas mensonge, et son respect religieux de la vérité l’empêcha de le démentir[2]. »

Ce récit est-il tout à fait exact, et Saint-Simon n’a-t-il pas, comme à son ordinaire, grossi un peu les choses ? On peut se le demander. En effet, le Duc de Bourgogne ne fait aucune allusion à ces paroles injurieuses dans les lettres qu’il écrivit, les jours suivans, à Philippe V et à Mme de Maintenon, lettres où il se plaint très vivement des procédés de Vendôme. Quant à

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XII, p. 186 et suiv.
  2. Michelet, Histoire de France, édition de 1874, t. XIV, p. 201.