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l’épée à la main au milieu des dangers, animant les soldats par ses cris, par ses gestes. A un certain moment, il dit au brigadier d’Arpajon : « Arpajon, voilà de l’infanterie dans ces haies ; il l’en faut chasser. » Alors, d’Arpajon, commençant de s’ébranler, dit aux bataillons de sa brigade : « Mes amis, vous venez d’entendre ce que M. de Vendôme vient de dire. » Les soldats lui crièrent : « C’est notre père ! » Et Bellerive continue : « Si, dans cet heureux moment, le duc de Vendôme eût été soutenu, comme il s’y attendoit, les alliés étoient abattus, leurs drapeaux enlevés, les François au comble de la gloire, et le soleil auroit éclairé la défaite entière de l’infanterie ennemie, car jamais général n’inspira autant de zèle et de courage à des soldats, qui, par un esprit d’enchantement, ne croyoient rien plus d’impossible, en voyant le duc de Vendôme donner le spectacle d’un brillant héroïsme[1]. » Dans ce moment critique, Vendôme avait cependant mieux à faire qu’à donner ce brillant spectacle. Il avait à réparer son imprévoyance en improvisant, sur le champ de bataille même, comme font les grands capitaines, un plan de combat, et en faisait parvenir des ordres précis aux forces si nombreuses dont il disposait. Il n’en fit rien. Il se bornait à envoyer au feu les unes après les autres des troupes qui arrivaient hors d’haleine, et qui avaient à se déployer devant un ennemi avantageusement posté. Saint-Hilaire, qui avait été laissé en arrière avec son artillerie, ne reçut aucune instruction, et, s’il n’avait, de sa propre inspiration, envoyé dix pièces de canon auxquelles il avait fait passer l’Escaut de bonne heure, l’armée entière se serait trouvée non seulement sans aucune artillerie, mais sans munitions[2]. Faute d’ordre précis également, et au dire de Vendôme lui-même, cinquante bataillons et près de cent quatre-vingts escadrons demeurèrent sur une hauteur sans prendre part à l’action. Il est vrai que, suivant Vendôme, la responsabilité de cette inaction retomberait sur le Duc de Bourgogne, à qui il aurait fait porter l’ordre formel de le soutenir, et qui se serait laissé détourner de l’exécution de cet ordre « par des conseillers timides, » non sans peine cependant, car il aurait dit : « Que dira M. de Vendôme quand il saura que je me retranche, au lieu de charger[3] ? » Mais

  1. Saint-Simon, édition Boislisle, t. XVI. Appendice, p. 556.
  2. Mémoires de Saint-Hilaire, t. IV, p. 134 et suiv.
  3. Pelet, Histoire militaire, t. VIII, p. 391. Vendôme au Roi. Lettre du 16 juillet 1708.