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d’avoir inspiré la résolution du jeune officier, membre de la famille royale, dans l’espérance que les divisions et les agitations auxquelles donnerait lieu sa présence dans les Principautés seraient de nature à créer pour l’Autriche un surcroît de graves difficultés[1]. »

Ainsi, dans l’Europe entière, l’opinion fut que le prince était parti avec l’autorisation du roi Guillaume et de l’empereur Napoléon III. Le monde considéra comme une plaisanterie cette affirmation, « que, sous un roi d’une volonté aussi forte que Guillaume Ier, assisté d’un ministre aussi énergique que Bismarck, un prince prussien eût pu prendre une telle initiative sans l’assentiment royal[2]. »

Cette conviction excita en France les murmures des politiques de l’école de Talleyrand et de Thiers ; le brillant chroniqueur de la Revue des Deux Mondes, Eugène Forcade, s’en fit l’interprète : « On ne comprend pas que l’équipée du prince de Hohenzollern dans les Principautés ail été tolérée. On ne saurait admettre que le nouvel hospodar, officier de l’armée prussienne, ait quitté comme un déserteur son pays et ses frères d’armes à la veille d’une grande guerre et d’un grand péril. Nous croyons pour l’honneur du prince qu’il a informé le gouvernement de ses résolutions, et qu’il est parti muni des autorisations nécessaires. Comment la cour de Berlin a-t-elle pu donner une autorisation semblable sans en faire prévenir la France, ne fût-ce que par l’intermédiaire de l’Italie ? Et, si la France a été avertie, comment a-t-elle consenti à cette aventure[3] ? »

D’autres écrivains manifestèrent le même étonnement. Et cette candidature royale d’un Hohenzollern, même en une région éloignée, excita, dès 1866, les ombrages et les susceptibilités françaises, et l’on reprocha à l’Empereur de l’avoir tolérée. Que n’eût-on pas dit si l’on eût su qu’il l’avait favorisée ! Les partisans des nationalités approuvèrent le laisser faire donné par l’Empereur. L’Opinion nationale soutint une thèse opposée à celle de Forcade. En cela, Guéroult, son rédacteur en chef, esprit indépendant, caractère honorable, n’obéissait pas à une déférence

  1. 25 mai 1866.
  2. Sybel, VI, 353-354. — Sybel ajoute, il est vrai, que cette opinion n’était pas conforme aux faits, parce que le « prince avait agi d’une manière complètement indépendante et n’avait ni sollicité ! ! ! ni reçu du roi la permission d’agir. » On n’escamote pas plus lestement les documens.
  3. Revue des Deux Mondes du 15 juin 1866.