Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/801

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


XII

Le 22 mai 1806, le prince Charles entrait triomphant à Bucharest, ayant traversé sans encombre l’Autriche tout en armes et en surveillance. De Salzbourg, il envoya sa démission d’officier prussien. Bratiano l’avait rejoint pour jouir de la victoire à côté du roi qu’il avait inventé. « On l’attendait, écrivait notre consul, comme les Israélites attendaient le Messie. » Les ovations frénétiques de la population ne furent, du reste, qu’un heureux pressentiment, car, dans la situation la plus difficile, le nouveau prince s’est montré un chef d’Etat aussi remarquable par la sagacité et la prudence que par la vigueur et la persévérance, et il a été un glorieux créateur de royaume.

Bismarck annonça lui-même le fait aux ambassadeurs accrédités auprès de lui, en leur manifestant à tous sa surprise et ses regrets. « C’était sans l’assentiment du Roi et à son insu que le prince s’était rendu dans les Principautés. » Il affirma que S. M. prussienne ne se séparait pas des autres cabinets et déclinerait toute solidarité avec l’entreprise du prince, malgré les liens de parenté qui l’unissaient à la famille royale. D’Oubril se plaignit aigrement de la fausse sécurité où on l’avait mis par des paroles endormeuses. Aristarchi fut violent : il rappela les assurances qui lui avaient été données par le Roi ; il n’admettait pas que le prince eût pu se résoudre à méconnaître les intentions de Sa Majesté ; il se plaignit que sa bonne foi avait été surprise, en des termes tels que Bismarck lui déclara qu’il se retirerait, s’il persistait dans un tel langage.

Benedetti, ignorant la part que son souverain avait prise en cette affaire, reçut la communication avec beaucoup plus de sérénité : « Je ne doute pas de la sincérité de vos assurances, dit-il, mais on croira bien difficilement que le prince ait pris sur lui d’abandonner le service du Roi pour se rendre dans les Principautés sans s’être préalablement muni du consentement de Sa Majesté et se soit ainsi constitué à l’état de déserteur. On ne croira pas que ce soit pour rien que le prince Antoine a fait il y a deux semaines environ une apparition à Berlin, qu’il a vu le Roi et qu’il a reçu la visite du président du Conseil[1]. »

  1. De Benedetti, 22 et 23 mai 1866.