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parut pas se ranger à l’avis de son ministre : « Les difficultés sont énormes et multiples ; il serait plus sage d’attendre les résolutions de la conférence de Paris. D’ailleurs n’était-il pas indigne d’un prince de la Maison de Hohenzollern de se mettre sous la suzeraineté d’un Turc ? » Le jeune homme insiste : — Il saura se libérer par les armes de cette suzeraineté qu’il accepterait pour un moment ; il affranchira le pays qui l’élit et lui conquerra sur le champ de bataille sa complète indépendance ; il fera toujours honneur à son nom, quelle que soit la situation dans laquelle il pourra se trouver. — Le Roi cependant ne dit pas oui, ne dit pas non ; il lui donna le congé pour aller s’entendre à Dusseldorf avec son père et, le serrant dans ses bras, il lui dit : « Que Dieu te protège ! »

A Dusseldorf, le jeune homme ne trouve pas plus de décision qu’à Berlin. Sa mère et sa sœur, tendrement inquiètes, s’opposaient ; son père ne savait à quoi se résoudre. Le Roi lui écrit ce qu’il avait fait entendre à son fils : il n’envoie pas un refus direct, il insiste seulement sur l’opposition des puissances. Mais Mme Cornu, consultée par lettre et par messager, presse pour qu’on ne se préoccupe pas de la Conférence, qu’on aille de l’avant, et qu’au plus tôt on crée le fait accompli. Elle promet l’aide de l’Empereur. Bratiano, accompagné d’un ancien aide de camp de Couza, accourt, appuie le conseil de Mme Cornu et promet le succès. Alors le prince Antoine se rend à Berlin ; il ne peut se décider à prendre un parti quelconque sans s’être mis d’accord avec celui qui est la lumière et l’autorité de la famille. Là tout est discuté ET REGLE[1] avec le Roi, dans le plus grand secret. Suivant une distinction digne du plus Escobar des casuistes, il « n’autorisera pas, mais il entrera avec inquiétude dans les projets du prince[2]. »

On en arrive donc finalement au scénario proposé par Bismarck dès l’origine : le prince quittera la Prusse, non en rebelle à l’autorité du chef de famille, non en déserteur de l’armée, mais avec le consentement tacite de ce chef de famille et muni d’un congé accordé pour l’étranger par le commandant suprême de l’armée. Dès qu’il aura franchi la frontière prussienne, il enverra sa démission, dont l’acceptation lui était garantie d’avance.

  1. Expression du prince Charles dans ses Mémoires, loco citato.
  2. Ibid.